METZ
PAROISSE ORTHODOXE DES TROIS SAINTS HIERARQUES
Basile-le-Grand, Grégoire-le-Théologien et Jean-Chrysostome
православная церковь русской традиции
Nous avons tous en tête les questions suscitées par le projet de loi dit du mariage pour tous. Je ne crois pas qu'une opposition frontale à ce projet puisse changer le cours des choses. Il me semble plus important et plus nécessaire de réhabiliter le mariage, qui est tellement dévalorisé dans notre société. C'est pourquoi je vais tenter de vous convaincre de la beauté et de la sainteté du mariage.
Je ne présenterai pas une vision évolutive du mariage, mais une vision éternelle, donc toujours actuelle. Je me fonderai sur la révélation biblique ainsi que sur ma modeste expérience pastorale et sur ma propre expérience de vie dans l'Eglise orthodoxe, sachant que je suis moi-même marié. Non que ma vie soit exemplaire, mais je tâche du moins d'avancer en ayant toujours devant moi, comme norme, la vocation à une vie chrétienne.
J'ai la chance d'avoir quelques jeunes dans ma paroisse. J'aime les accompagner. C'est principalement en pensant à eux que j'ai préparé cet exposé, et je suis heureux que plusieurs soient présents ici ce soir. L'un semble se diriger vers la vie monastique : pour lui, les choses sont assez claires. Naturellement, cette vocation doit être vérifiée, éprouvée et accompagnée. Certains sont dans un processus de formation de couple, à un stade plus ou moins avancé, avec un projet de vie commune ou une vie commune déjà effective. Une direction s'est tout naturellement imposée à eux, il convient de les encourager. Pour d'autres, c'est plus compliqué : ils n'ont pas trouvé leur partenaire, l'aide qui leur est assortie, comme il est dit dans la Bible ; ils ont pu connaître des déceptions sentimentales, des expériences malheureuses. Pour eux aussi la question du mariage et de la fondation d'une famille se pose, mais dans un sentiment de manque qui est source de mal-être. J'ai moi-même connu cette situation quand j'étais jeune : ce n'est que passé la trentaine que j'ai trouvé celle qui allait devenir ma femme.
Lorsque je vois des couples se construire sur des bases saines, je m'en réjouis. Et lorsque je vois des jeunes pour qui la vie affective est problématique, je partage tout aussi sincèrement leur peine. Parce que c'est un élément déterminant pour une vie d'adulte qui commence, une vie émancipée du père et de la mère, selon cette parole biblique : « L'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme. »
Le fondement biblique du mariage se trouve au début de la Genèse dans le récit de la Création : « Le Seigneur Dieu dit : Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui. Le Seigneur Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir vers l'homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l'homme. Et l'homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs ; mais, pour l'homme, il ne trouva pas d'aide qui lui soit assortie. Alors le Seigneur Dieu fit tomber un profond sommeil sur l'homme, qui s'endormit ; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place. Le Seigneur Dieu forma une femme de la côte qu'il avait prise de l'homme, et il l'amena vers l'homme. Et l'homme dit : Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ! On l'appellera femme, parce qu'elle a été prise de l'homme. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair. L'homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n'en avaient pas honte. » (Gen. 2,18-25)
J'entends dire parfois qu'il y a une différence entre ce qui est écrit dans la Bible et la réalité, que la foi (et plus encore le dogme) est une chose, et que la réalité en est une autre. Je prétends le contraire : la Bible est bien plus réaliste que toutes les opinions du monde. Elle rend compte d'une réalité qui est objective sous le regard de Dieu, un Dieu qui est Lui-même objectif.
La Bible constate ce qui est de l'ordre de la nature, et elle nous dit que cet ordre est voulu par Dieu, dans son amour, pour le bien de l'homme. En l'occurrence, Dieu a voulu l'altérité et la complémentarité homme/femme. L'homme seul n'est pas l'humanité complète, ni la femme seule. Ils sont faits pour s'unir dans une union intime : « L'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair ». Ensemble, ils seront l'humanité complète, féconde. L'usage naturel de la sexualité, dans la fidélité conjugale, est béni par Dieu.
Deux hommes ne font pas une chair féconde, ni deux femmes. Mais je ne vais pas parler maintenant de la question de l'homosexualité. Mon sujet est le mariage, qui ne saurait être autre chose que l'union d'un homme et d'une femme.
Soulignons l'importance de ce texte comme fondement : « L'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. » (Gen. 2,24)
- Le fait qu'il soit affirmé en tête de la Bible, au commencement de toutes choses, selon le premier mot de la Bible (Gen. 1,1), bereshit en hébreu, en archi en grec, in principio en latin, c'est-à-dire dans le principe originel en tant que fondement d'un grand dessein, lui donne une valeur normative universelle.
- Lorsqu'on vient lui poser une question sur le divorce : « est-il permis à un homme de répudier sa femme ? », Jésus répond en se fondant sur cette norme première : « C'est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; au commencement, il n'en était pas ainsi. Au commencement, lorsque le Créateur fit l'homme et la femme, Il dit : C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair. Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni. » (Matth. 19,4-5 ; Marc 10,5-9) Par ce rappel, Jésus justifie que le mariage est un engagement pour la vie, et qu'il est monogame.
- Saint Paul reprend ce précepte et en développe la portée en le rapportant au Christ et à l'Eglise : « C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ce mystère est grand : je dis cela par rapport au Christ et à l'Eglise. » (Eph. 5,31-32) Cela signifie que l'humanité, même complète par la complémentarité homme/femme, n'est pas autosuffisante. L'humanité ne peut parvenir à sa perfection, à son accomplissement, qu'en union avec Dieu.
Le fait que le mariage est béni par Dieu et qu'il est le signe d'une vocation plus haute est confirmé par d'autres textes :
- Dieu est présent en la Personne de Jésus aux noces de Cana pour les bénir et les transfigurer (Jean 2,1-11). Le changement de l'eau en vin à cette occasion est significatif.
- Il est souvent question de noces dans les paraboles : elles signifient toujours les noces de Dieu Lui-même avec son peuple.
- Et, sans même parler du Cantique des cantiques, ce texte du prophète Isaïe : « Comme la fiancée fait la joie de son fiancé, ainsi tu feras la joie de ton Dieu,… car le Seigneur met son plaisir en toi. » (Is. 62,4-5)
Le mariage est donc une image du Royaume de Dieu. L'union de l'homme et de la femme appelle une autre union, elle est l'image et le signe de l'union (plus fondamentale) de Dieu avec l'humanité, du Christ avec son Eglise.
C'est en cela que le mariage est un sacrement : Le mot mystère utilisé par saint Paul (Eph. 5,32) est le mot grec pour sacrement. C'est un sacrement parce que, dans l'amour humain, l'amour de Dieu se révèle et se manifeste. Le sacrement, pour nous orthodoxes, ne se définit pas par des critères extérieurs, mais par la réalité qu'il manifeste : à travers ce qui est visible, quelque chose d'invisible se produit de manière mystérieuse, mais non moins réelle, quelque chose qui n'est pas de l'ordre du créé, mais de l'ordre du divin. L'amour humain est le sacrement de l'amour de Dieu.
A la lecture de la Bible, il apparaît que le but premier de la sexualité n'est pas d'avoir des enfants. Les enfants ne viennent que par la suite dans le récit biblique, ils viennent par surcroît, comme fruits de la fécondité. Le but premier est l'amour, qui est un don de Dieu, qui est même une manière de participer à la vie divine, car « Dieu est amour » (1 Jean 4,8). La vie trinitaire est amour, comme le montre magnifiquement l'icône de la Trinité de Roublev.
Cela dit, il est bien évident que les problèmes de parentalité et de vie de couple sont liés : l'union d'un homme et d'une femme dans le mariage est le cadre naturel voulu par Dieu pour faire naître des enfants et fonder une famille. Mais la question de la famille est un autre sujet, que je n'aborderai pas ici.
L'Eglise reconnaît et bénit deux formes de vie, deux voies de sanctification : le mariage et la vie monastique.
Le mariage est un droit naturel. La voie monastique est un renoncement à ce droit naturel, selon les termes de saint Paul : « N'avons-nous pas le droit de mener avec nous une sœur qui soit notre femme, comme font les autres apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas ? … Mais pour moi, je n'ai usé d'aucun de ces droits. » (1 Cor. 9, 5,15 ; Cf. aussi 1 Cor.7)
Cette voie de la chasteté dans la vie monastique est non seulement un signe, mais une anticipation du Royaume, dans lequel « les hommes ne prendront pas de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. » (Matth. 22,30) Dans le Royaume, on n'aura plus besoin de la complémentarité homme/femme. Chaque être humain (homme ou femme) sera complet en lui-même par l'union avec Dieu.
Remarquons qu'avant la distinction homme/femme, Adam avait été créé homme et femme (Gen. 1,27), il était l'humanité totale. Ce qui est dit en tête de la Bible est une indication sur notre vocation ultime.
Contrairement à une idée courante, je pense qu'il ne faut pas faire une lecture misogyne de la Bible, y voir une infériorité de la femme par rapport à l'homme. Il faut voir au contraire une égalité ontologique, une complémentarité et une réciprocité (mais non une interchangeabilité).
Par exemple, lorsque Paul recommande « que la femme soit soumise à son mari » (Eph. 5,22), si on lit jusqu'au bout, on comprend que la soumission de l'un à l'autre doit être réciproque. Ceci est confirmé par cette autre parole de l'Apôtre : « La femme n'a pas autorité sur son propre corps, mais c'est son mari ; et pareillement, le mari n'a pas autorité sur son propre corps, mais c'est sa femme. » (1 Cor. 7,4) Vous voyez que les propos de Paul sont équilibrés et qu'il n'y a là aucune misogynie.
Il est vrai qu'il existe des passages de la Bible ou des écrits des Père qui parlent de la femme comme ayant une nature plus faible. En effet, dans les conditions de vie avant l'époque moderne, la femme, étant moins bien armée que l'homme pour se défendre contre toutes les menaces, ayant moins de force physique, avait plus besoin de la protection de l'homme. Dans les conditions de vie actuelles, la différence de force physique est moins déterminante, et on peut mieux voir la symétrie dans la relation homme/femme. Malgré tout, même aujourd'hui, je pense qu'une femme est plus en sécurité si elle a un mari, et un homme est mieux éclairé s'il a une femme.
J'ai besoin de revenir sur cette parole biblique : « Ils seront une seule chair ». Il n'y a pas besoin de faire un dessin : la Bible est très concrète et réaliste, elle n'a pas peur de l'union charnelle.
Dans la formation de la femme à partir de l'Adam primordial, nous voyons qu'il y a séparation des deux pôles homme/femme en vue de leur rencontre et de leur union. L'homme et la femme apparaissent comme les deux pièces d'un puzzle qui sont appelées à se réunir. A l'origine, le désir qui porte l'homme vers la femme et la femme vers l'homme est bon et voulu par Dieu. Il y a de la beauté dans l'union charnelle, elle est une manière de glorifier Dieu.
Mais attention : il ne s'agit pas de faire de la chair une idole. Adorer la créature au lieu du Créateur, c'est le péché (cf. Rom. 1,25). La chair devient péché lorsqu'elle se referme sur elle-même, alors qu'elle est faite pour ouvrir sur la communion avec Dieu, à qui doit revenir toute action de grâce.
Il faut savoir aussi que, lorsque la Bible parle de chair, il ne s'agit pas seulement du corps, mais de tout notre être. L'amour n'est pas tant de se donner dans les corps que de donner son cœur. Les époux s'unissent dans l'accord des cœurs : je te porte dans mon cœur, et j'ai besoin de savoir que ton cœur est attaché à moi. D'où l'exigence de fidélité.
L'amour se vit dans le cœur. Ce cœur n'est pas localisable quelque part dans le corps, c'est le centre vivant de la personne. Mais l'amour (comme d'ailleurs tout sentiment) s'exprime par le corps, par le langage corporel. Le corps ne doit donc pas être idolâtré : il n'est que le moyen d'expression d'une réalité beaucoup plus essentielle, une réalité mystérieuse, notamment la réalité de l'amour ou de la foi, la réalité de la personne.
Il n'est pas inutile de faire une mise au point sur le lien, qui a souvent été mal compris, entre la chair et le péché.
Lorsqu'on parle de péché de chair, il s'agit en réalité de péché contre la chair : « Celui qui pèche avec son corps pèche contre son propre corps » (1 Cor. 6,18). Car le corps en lui-même est saint, c'est le « temple de l'Esprit Saint », comme le dit saint Paul (1 Cor. 6,19). La chair, c'est-à-dire la totalité de notre être créé, a une vocation naturelle à la sainteté. Transgresser l'ordre naturel est un péché. En théologie byzantine, le péché n'est pas vu d'abord comme une offense à Dieu, mais comme un acte contre-nature. Le péché blesse notre nature, ce qui est cause de souffrance et de mort.
L'apôtre Paul illustre cela dans l'épitre aux Romains, parlant de « ceux qui retiennent injustement la vérité captive », c'est-à-dire ceux qui refusent de connaître et de glorifier Dieu, alors que sa gloire est visible dans la création (cf. Rom. 1,18 et s.) : « C'est pourquoi Dieu les a livrés à l'impureté, selon les convoitises de leurs cœurs ; en sorte qu'ils déshonorent eux-mêmes leurs propres corps ; eux qui ont changé la vérité de Dieu en mensonge, et qui ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur, qui est béni éternellement. Amen ! C'est pourquoi Dieu les a livrés à des passions infâmes : car leurs femmes ont changé l'usage naturel en celui qui est contre-nature ; et de même les hommes, abandonnant l'usage naturel de la femme, se sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les autres, commettant homme avec homme des choses infâmes, et recevant en eux-mêmes le salaire que méritait leur égarement. » (Rom. 1,24-27)
Le péché contre son propre corps, ou le fait de réduire son partenaire à un corps, est un péché d'idolâtrie, le péché de « ceux qui ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur » (Rom. 1,25). Une autre forme d'idolâtrie consiste à idéaliser l'autre, à projeter sur lui l'idée qu'on se fait de l'être aimé. Si on idéalise celui (celle) dont on est tombé amoureux, on va au-devant de cruelles déceptions.
Le conjoint n'est ni un corps pour satisfaire mes désirs, ni une idée que je peux me fabriquer, mais une personne concrète, avec son propre mystère. C'est justement ce mystère irréductible qui fait que la personne est capable de susciter l'émerveillement.
Je voudrais encore insister sur la beauté de l'amour conjugal à l'aide de quelques exemples.
- Le premier émerveillement de l'histoire des hommes est celui d'Adam lorsque Dieu lui présente Eve : « Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ! » (Gen. 2,23-25) Tous ceux qui sont tombés amoureux dans leur vie comprennent d'emblée ce que signifie cette exclamation.
- Une jeune fille est venue un jour me présenter son petit ami. Leur bonheur d'être ensemble était manifeste. Je leur ai demandé s'ils avaient un projet de mariage. Ils n'avaient pas encore osé aborder ce sujet, mais ma question les a amenés à le faire lorsqu'ils se sont retrouvés tous les deux. Je garde un souvenir ému de ce qui s'est passé à ce moment-là, et qui peut orienter une destinée humaine dont Dieu seul connait le mystère et la fin.
- La célébration orthodoxe d'un mariage manifeste la beauté de l'union conjugale. C'est une grande joie pour moi de pouvoir en célébrer.
- Dans une paroisse orthodoxe, un dimanche, après la Liturgie suivie d'un repas festif, il y a un petit spectacle. Un couple (entre 50 et 60 ans) monte sur la scène pour chanter quelques chants populaires slaves, des chansons d'amour, toutes simples. Le monsieur est assis sur une chaise avec sa guitare, la dame se tient debout à côté, la main délicatement posée sur l'épaule de son mari. Il n'y a pas besoin d'en faire plus. Avec la magie des chansons qui opère, c'est leur présence en tant que couple qui touche les cœurs.
La beauté de l'amour est d'abord vécue dans l'intimité des deux personnes, à l'abri de tout regard étranger. Mais elle est visible pour ceux qui les voient vivre ensemble.
L'exaltation liée à la découverte de l'autre est utile pour nous donner une impulsion, mais elle ne peut pas durer toujours. Après l'émerveillement de la rencontre, il y a inévitablement les épreuves de la vie. Mais la flamme qui s'est allumée, si on l'entretient, a le pouvoir d'illuminer la vie entière et, avec l'aide de Dieu, de donner la force de traverser les épreuves.
Le mystère de l'amour qui s'impose à nous est un don de Dieu pour nous ouvrir à un mystère encore plus grand : le mystère de Dieu, de l'amour de Dieu et du prochain. Un amour qui est don de soi. Celui qui aime donne sa vie (cf. Jean 15,13). L'amour est appelé à être purifié (d'égoïsme, de possessivité…). Un tel amour ne peut pas être déçu, si l'on en croit l'apôtre Paul : « L'amour est patient, il est plein de bonté ; l'amour n'est pas envieux ; l'amour ne se vante pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L'amour ne périt jamais. » (1 Cor ; 13,4-8)
Evidemment, tout cela n'est pas aussi facile qu'il y paraît. La vie affective est un grand moteur de notre vie, mais elle est d'une grande complexité. L'attirance sexuelle est une force puissante, avec le rôle envahissant de l'imaginaire, voire des phantasmes. La vie affective est difficile à réussir. Elle est la source des joies les plus intenses : nous n'en attendons rien de moins que le bonheur. Mais elle est aussi à l'origine des souffrances les plus cruelles (en cas de déception amoureuse).
Pour répondre à une question souvent posée, je dois dire un mot sur l'attitude de l'Eglise orthodoxe par rapport au divorce.
Lorsqu'un couple va mal, l'Eglise n'est pas là pour condamner, mais pour guérir. Il existe des moyens spirituels pour surmonter les difficultés : la prière, la confession des péchés, le repentir, le pardon, la patience… Mais le fait que le mariage soit un sacrement n'est pas une garantie contre l'échec. Le mariage est fait pour réussir, mais il peut arriver qu'un couple soit amené à divorcer. Dans ce cas, l'Eglise prend acte et, par miséricorde divine, peut autoriser un deuxième, et même jusqu'à un troisième mariage, offrant la possibilité de se relever lorsqu'on est tombé. Mais le divorce n'est pas banalisé, c'est toujours une blessure.
Pourquoi ces difficultés, alors que les choses s'annonçaient tellement bien ? Il faut se souvenir que ce qui est annoncé au début de la Genèse (la rencontre joyeuse d'Adam et Eve et leur vocation à être une seule chair) se situe avant la chute. C'était la condition au Paradis. Mais ensuite, est venu le péché par lequel la nature créée bonne a été pervertie. Là encore, contrairement aux idéologies, la Bible est tout à fait réaliste sur le problème du mal. Par le péché, ce qui a été donné à l'homme pour son bonheur peut devenir source de souffrance, la nature humaine est fragilisée. Ce qui est annoncé au début reste cependant une norme et une promesse pour le Royaume à venir, lorsque le péché sera vaincu.
Nous avons déjà parlé du péché contre nature, en particulier du détournement de l'usage naturel de la sexualité. La Bible fixe aussi des limites aux unions permises : « Nul de vous ne s'approchera de sa parente, pour découvrir sa nudité. Je suis le Seigneur. Tu ne découvriras pas la nudité de ton père, ni la nudité de ta mère… » Et toutes les autres unions interdites en cas de lien de parenté (Lév. 18,1-18).
Mais même les limites fixées par la nature ne suffisent pas (car cette nature est déchue à cause du péché d'origine). L'un des péchés les plus redoutables dans le cadre du mariage est le manquement à la fidélité. La fidélité est un commandement divin : « L'homme s'attachera à sa femme ». La convoitise est un péché, d'où le commandement : « Tu ne convoiteras pas une autre femme que la tienne ».
Il est utile d'être averti sur les pièges, sur les manières dont le péché nous guette. Si le péché ne venait que de la méchanceté, il serait facilement reconnaissable et identifiable comme péché. Mais le péché peut être beaucoup plus sournois en empruntant les sentiments les plus nobles. Voici deux exemples.
- Une famille unie. Pour des raisons professionnelles, la femme part en déplacement pendant plusieurs semaines. Sur le lieu de travail elle côtoie un homme avec qui elle lie amitié : une amitié chaste, qui ne semble pas menacer la fidélité à son mari. Mais petit à petit, le monsieur lui confie ce qui lui pèse dans sa vie : un manque d'affection, une solitude qui le rend malheureux. Il a touché la corde sensible : la dame, qui est gentille par tempérament, s'apitoie et, par générosité, finit par se donner à lui. Le problème, ensuite : comment revenir vers son mari ? Car, évidemment, dans son couple, il n'y a pas de place pour un deuxième homme. D'où une blessure. Heureusement, le couple a pu trouver des ressources dans sa vie chrétienne, et la blessure a pu se cicatriser, mais elle reste comme une tache.
- Un jeune homme et une jeune fille se marient. Ils s'aiment et ils ont des projets ensemble : une entreprise commune. Mais avec le temps, la jeune femme commence à s'ennuyer : son mari ne pense qu'au travail, il n'y a pas beaucoup de tendresse. Après quelques années, la jeune femme rencontre un autre jeune homme qui sait parler à sa sensualité. Elle se sent mise en valeur, elle a l'impression de revivre. Elle quitte son mari pour ce jeune homme, ils ont un enfant ensemble. Mais les beaux jours ne durent pas longtemps. La routine s'installe vite, puis les disputes… Ils se séparent. La jeune femme se retrouve seule avec son enfant, elle a beaucoup perdu dans cette aventure.
Que nous enseignent ces exemples ? Non que l'échec soit une fatalité, mais qu'il faut apprendre à être vigilant pour déjouer les pièges. Le discours ambiant invite plutôt à donner libre cours à ses désirs, à vivre à fond les émotions passagères, et même à en multiplier les occasions, mais c'est un leurre. Une discipline de vie est nécessaire. L'un des buts de l'ascèse chrétienne, toujours recommandée par l'Eglise orthodoxe, est d'aider à maîtriser les désirs. L'amour exige des renoncements. Comme dit un dicton populaire, on ne peut pas tout avoir : le beurre, l'argent du beurre et en prime le sourire de la crémière.
Le fait que je termine par les épreuves et les dangers qui nous guettent ne doit pas décourager les candidats au mariage.
L'amour véritable au sens de saint Paul (1 Cor. 13) ne peut pas être déçu. C'est à nous de ne pas le décevoir.
La foi chrétienne nous appelle à ne pas rester au niveau charnel mais à nous élever au niveau spirituel. Ce que l'on ressent comme une promesse de vie intense lorsqu'on tombe amoureux est un appel en ce sens.
L'amour, comme d'ailleurs tout ce qui nous est donné, doit être reçu comme un don de Dieu et nous amener à rendre grâce, à rapporter à Dieu ce qui vient de Lui.
J'espère avoir convaincu de la grandeur du mariage, qui trouve tout son sens et toute sa mesure dans la perspective chrétienne.