METZ
PAROISSE ORTHODOXE DES TROIS SAINTS HIERARQUES
Basile-le-Grand, Grégoire-le-Théologien et Jean-Chrysostome
православная церковь русской традиции
1. Je ne suis pas un spécialiste de la Bible. Si je peux en parler, c'est parce que je l'utilise pour la prière, dans le cadre de la pratique orthodoxe.
2. La problématique posée pour cette rencontre, et qui se comprend dans le contexte de notre monde déchristianisé, n'était pas la mienne a priori. Je tenterai malgré tout d'y répondre, mais en suivant mon propre fil conducteur qui est la prière.
3. Avant d'entrer dans mon sujet, je commencerai par des réponses rapides à deux questions pour poser des repères.
- La Bible nous parle-t-elle encore ?
Tout ce qui touche à la foi ( la Bible , Dieu, la prière…) ne se présente pas à moi sur le mode du discours, mais sur le mode de l'expérience. La Bible ne peut nous parler que si nous en avons l'expérience. La vraie question n'est donc pas de savoir si la Bible nous parle, mais si nous la pratiquons.
La prière, pour celui qui la pratique, est une évidence (ce qui, par ailleurs, n'exclut pas questionnement, remise en cause…). C'est un besoin vital, comme se nourrir et respirer : « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu… » (Matth. 4, 4 citant Deut. 8, 3).
- La Bible est-elle là pour conforter nos convictions ou nous interroger ?
La Bible ne nous est certainement pas donnée pour conforter nos convictions. Suivre le Christ consiste au contraire à « renoncer à soi-même » (Matth. 16, 24), renoncer à sa volonté propre, faire mourir le « vieil homme » (Rom. 6, 6). « Non pas ma volonté, mais la tienne… » dit Jésus au Père. « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel… » disons-nous dans le Notre Père. « Vos pensées ne sont pas mes pensées… » (Is. 55, 8). « Tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais les pensées des hommes » dit Jésus à Pierre qui refuse d'envisager la condamnation à mort du Seigneur (Matth. 16, 23). Paul parle des pensées « charnelles », c'est-à-dire naturelles, opposées à celles qui viennent de l'Esprit (1 Cor. 3,1 ; Col. 2, 18).
Mais je dirai que l'objet premier de la Bible n'est pas non plus de nous interroger sur nos convictions, sur nos valeurs. La Bible est moins une école de pensée ou de morale qu'une école de prière. Elle est moins matière à penser que matière à prier.
Ceci m'amène à la question que je voudrais développer maintenant : le statut de la Bible.
La Bible n'est pas un traité de science sociale, même si on y trouve des manières d'organiser la société, qui font d'ailleurs une part belle à la justice, au droit du plus faible… Ce n'est pas un manuel d'économie, même si on y trouve des manières de gérer les biens et les richesses. Ce n'est pas un traité de science politique, même si on y trouve des manières de traiter les affaires publiques. Un capitaliste comme un communiste, un socialiste comme un libéral, un autocrate comme un démocrate pourront trouver des versets qui leur donnent raison. Mais ce n'est pas l'objet de la Bible.
La Bible n'est pas non plus un livre d'histoire au sens moderne, même si on y trouve des faits historiques. Son objet est l'histoire du salut. Le salut, qui transcende le temps chronologique, s'inscrit dans l'histoire. Dans l'histoire d'une Alliance : Dieu s'engage dans la vie des hommes, avec leurs fidélités et leurs infidélités (qui sont elles-mêmes instructives, car Dieu est capable de pardonner et de sauver les pécheurs) pour les conduire vers le salut, vers le Royaume, vers la communion avec Lui.
Nous verrons (§ 2.3) comment le canon eucharistique de saint Basile met en perspective cette histoire du salut.
Si on prend la Bible comme un objet à étudier, à interroger, à soumettre à l'analyse critique, on va peut-être apprendre des choses, mais on ne rencontrera pas Dieu. Or c'est là justement l'objet de la Bible. La Bible n'est pas un texte à interpréter. C'est la Parole de Dieu, le Verbe qui s'est fait chair. C'est quelqu'un. C'est Dieu qui se révèle et qui intervient.
Le Christianisme n'est pas une religion du livre (c'est l'Islam qui nous a classés ainsi). C'est une religion de l'Incarnation.
La Bible et la prière sont inséparables. La Bible est la base de la prière de l'Eglise. C'est dans la prière de l'Eglise qu'elle est vivante, c'est là que Dieu se révèle. C'est dans la prière que la Parole de Dieu prend sens.
Les livres de la Bible sont inspirés parce que les auteurs bibliques les ont écrits à partir de leur expérience divine. En formulant cette expérience, ils sont donc aussi réellement les auteurs du texte sacré. La Bible est divino-humaine (pas purement divine comme le Coran pour l'Islam, qui a influencé la manière de concevoir la Bible à partir du Moyen Âge). Le Verbe s'est fait chair (Jean 1, 14). La Parole de Dieu se fait entendre dans le langage humain. Et les hommes, à leur tour, invoquent Dieu : il y a réciprocité.
On ne peut parler de Dieu qu'en partant de la rencontre avec Lui, de la relation avec Lui. La Parole de Dieu dit plus que le sens rationnel. Elle révèle des choses indicibles en s'adressant à la foi. Car elle est mystère (mystère qui est le mot grec de sacrement).
La nature de la Bible est donc sacramentelle. J'oserai parler de sacrement de l'Alliance.
Parole et sacrement ne font qu'un : la Parole de Dieu est sacrement (Dieu est présent dans sa Parole). Et d'autre part, tout sacrement fait intervenir la Parole ( la Parole qui commande, qui crée) et est Parole en acte.
Il est impossible de mentionner toutes les prières qui jalonnent aussi bien l'Ancien que le Nouveau Testament.
Les premiers hommes ont très vite commencé à invoquer le Nom du Seigneur (Gen. 4, 26). Par la suite, sans compter les 150 psaumes, qui représentent la prière par excellence pour toutes les situations concrètes de la vie, il y a les multiples prières des personnages bibliques, comme le cantique de Moïse après le passage de la Mer Rouge (Ex. 15, 1-9) ou le Magnificat (Luc 1, 46-55). Les prières du peuple rassemblé pour écouter la Parole de Dieu et qui ratifie par son « amen » (Néhémie 8, 1-6). Les exhortations à la prière chez les prophètes et dans les épitres des apôtres.
Jésus Lui-même priait (comme nous le rapportent de nombreux passages des Evangiles). A titre d'exemples, je citerai la prière sacerdotale (Jean 17, modèle de prière d'intercession) : « Père, l'heure est venue, glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifie… », la prière eucharistique (à la Cène , à la multiplication des pains) : « Jésus prit le pain, rendit grâces… ». Au baptême par Jean dans le Jourdain : « Pendant qu'Il priait, le ciel s'ouvrit, l'Esprit Saint descendit sur Lui sous forme de colombe, et la voix du Père fit entendre ces paroles : Tu es mon Fils bien-aimé, en Toi j'ai mis toute mon affection » (Luc 3, 21-22). Souvent Il se retirait dans la solitude, sur la montagne ou dans un lieu désert pour prier. Le Christ nous apprend à prier. Lorsque les disciples lui demandent : « Seigneur, apprends-nous à prier » (Luc 11, 1), Il donne le Notre Père.
La lecture de la Bible fait partie de la prière de l'Eglise. Même lorsque je la lis seul dans ma chambre, c'est en tant que membre de l'Eglise (l'Eglise Corps du Christ) que je la reçois et que je la comprends.
C'est lorsque la Parole de Dieu est proclamée dans l'Eglise qu'elle prend toute sa dimension. Cela pour deux raisons :
- La première est exprimée par Jean Chrysostome : « On dit que nous pouvons prier en restant chez nous. Bien sûr, la prière chez soi est possible (la prière dans sa chambre est même recommandée), mais cette prière n'est pas comparable à celle qui s'accomplit dans l'église où une multitude de cœurs s'élève vers Dieu dans un seul élan. Il existe dans l'église quelque chose qu'il n'y a pas dans ta chambre : l'harmonie, l'unanimité, l'amour de tous. »
- La deuxième raison tient au mode de lecture. Les paroles des prières, des textes bibliques ou hymnographiques ne sont pas lues dans le mode parlé ordinaire (dans lequel le lecteur fait passer ses émotions) mais elles sont chantées ou psalmodiées (cette tradition nous vient de la Synagogue ), au moins en recto-tono (ce qui ne signifie pas monotonie : le texte doit être accentué de manière à être expressif et faire ressortir tout le contenu du message). Le style de chant doit naturellement être en accord avec le texte, qui est prière et annonce de l'Evangile.
Le but essentiel de la parole liturgique est l'édification de la Communauté , du Peuple de Dieu. C'est pourquoi aussi le chant orthodoxe exclut la musique instrumentale : « La musique instrumentale, même si elle est très belle, ne contribue pas, contrairement à ce que certains pensent, à unifier dans la prière la Communauté des fidèles. Elle est trop souvent reçue par chacun individuellement et il n'y a plus de communauté de personnes, au sens où, dans l'orthodoxie, la personne est par excellence l'être-en-communion. » (Nicolas Lossky)
Pour la lecture liturgique, on ne lit pas dans le livre unique que nous appelons « la Bible ». Si l'on met à part le livre des psaumes (sur lequel je reviendrai § 4.1), les lectures sont réparties dans trois livres qui n'ont pas le même statut (il y a une hiérarchie) : le livre des Evangiles, l'Apôtre (Actes et Epîtres), le livre des Parémies (passages de l'Ancien Testament).
L'Apocalypse et des parties importantes de l'Ancien Testament ne sont pas lues liturgiquement selon l'Ordo en vigueur dans l'Eglise orthodoxe. Cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas reconnus comme canoniques. Si un jour l'Eglise le juge utile, elle pourra intégrer d'autres passages dans la lecture liturgique.
C'est donc ce qui est lu dans les services liturgiques (dans le contexte de la fête ou du mystère qui est célébré) qui est déterminant pour la compréhension.
Quelques précisionsCf. Mgr Gabriel de Comane : La Parole de Dieu et la prédication dans l'Eglise.
Conférence à l'Institut Saint Serge à Paris le 7 février 2004 sur l'utilisation de chacun de ces trois livres (qui sont découpés selon les passages lus au cours de l'année liturgique) :
- Le Livre des Evangiles est déposé sur l'autel où il signifie la présence du Christ. Nous avons un seul et même autel pour l'Evangile et pour l'Eucharistie. L'Evangile est lu par le prêtre (ou le diacre). On l'écoute debout, car c'est Jésus Lui-même qui nous parle directement. On commence la lecture par l'Evangile de Jean dans le temps pascal, puis successivement Matthieu, Luc et Marc dans le temps après la Pentecôte (qui va jusqu'au Carême de l'année suivante).
- Le Livre des épitres (l'Apôtre) est déposé dans le sanctuaire (mais pas sur l'autel). Il est lu par le diacre ou le lecteur, en commençant par les Actes (lus dans le temps pascal) et en poursuivant dans l'ordre de la Bible. L'Evangile est la Bonne Nouvelle selon le témoignage des apôtres. Dans les épitres, ils nous expliquent le sens de l'Evangile et quelles en sont les conséquences.
Remarque : La lecture du Nouveau Testament est quasi intégrale au cours de l'année liturgique. Elle est répartie sur tous les jours de l'année (sauf en Carême où on ne lit le Nouveau Testament que les samedis et dimanches, qui sont les jours liturgiques).
- Le livre des Parémies contient les passages de l'Ancien Testament (la loi et les prophètes) lus aux vigiles des fêtes (Pâques, Noël, Théophanie… et tous les mystères de l'économie du Christ pour notre salut). On y trouve les prophéties qui annoncent l'avènement du Christ ainsi que de nombreux épisodes qui préfigurent et préparent tout ce qui s'accomplit dans le Nouveau Testament. C'est donc toujours le Christ que nous cherchons dans toute le Bible.
La veille de Pâques, pour prendre un exemple, nous lisons le franchissement de la Mer Rouge (Ex. 13,20-15,19), la résurrection du fils de la veuve de Sarepta (3 Rois 17, 8-24) et du fils de la Sunamite (4 Rois 4, 8-27), le sacrifice d'Isaac (Gen. 22, 1-18), les trois adolescents dans la fournaise de Babylone (Dan. 3, 1-88 dans la version grecque), …
Ce livre contient aussi une grande partie des livres de la Genèse , d'Isaïe et des Proverbes, qui sont lus pendant le Grand Carême.En premier lieu, il faut mentionner les psaumes, qui sont la base de la prière chrétienne. Tous les offices (la prière des Heures, mais aussi la Liturgie eucharistique et tous les sacrements) comportent des psaumes, sans compter les versets choisis (pour les prokimena et alléluia, par exemple) et les multiples fragments de versets insérés dans toutes les prières.
En plus des psaumes (sur lesquels je reviendrai § 4.1), un certain nombre de textes sont intégrés comme parties fixes dans les offices :
- Les cantiques bibliques dans les 9 Odes du Canon des Matines (cantiques de Moïse, d'Anne, de Jonas, de Daniel…).
- Les cantiques du Nouveau Testament (Béatitudes, Magnificat, cantique de Syméon…).
- Je voudrais citer aussi la prière de Manassé, roi de Juda, qui est évoquée dans le livre des Chroniques (Chr. 33, 13) mais dont le texte ne figure pas dans les Bibles occidentales. C'est une très belle prière de repentir, que l'Eglise orthodoxe a intégrée dans l'office de Complies. Voici un extrait : « Dans l'abondance de ta compassion, Seigneur, qui regrettes les iniquités des hommes, Tu as établi le repentir pour les pécheurs en vue du salut ». Cette prière fait écho à la parole du Seigneur : « Ce que Je désire, ce n'est pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive » (Ez. 33, 11). Ces textes, liés à l'expérience de la confession et de toute la vie spirituelle, interdisent pour les orthodoxes toute théologie de la prédestination (comme cela a eu lieu dans le protestantisme, et déjà chez saint Augustin).
Toutes les prières de l'Eglise (prière eucharistique, tous les sacrements, prières de repentir, prières avant la communion, et prières d'action de grâces ou de demandes pour toutes les circonstances) se fondent sur le dessein éternel de Dieu pour nous, tel qu'Il nous l'a révélé, avec le rappel de ses promesses et de ce qu'Il a fait dans l'histoire. Elles sont en lien très étroit avec la Bible et pleines de références et de citations bibliques (en particulier de versets de psaumes).
- Comme premier exemple, voici un extrait de la prière eucharistique de saint Basile (qui est un résumé de toute l'histoire du salut, de toute la Bible ) :
« Ayant façonné l'homme en prenant la poussière de la terre, l'ayant honoré, ô Dieu, de ton image, Tu l'avais placé dans le paradis des délices en lui promettant la vie immortelle et la jouissance des biens éternels dans l'accomplissement de tes commandements. Mais quand il T'eut désobéi, à Toi le vrai Dieu, son Créateur, qu'il eut été séduit par la fourberie du serpent et mis à mort par ses propres fautes, c'est par ton juste jugement, ô Dieu, que Tu l'as chassé du paradis dans ce monde et que Tu l'as renvoyé à la terre d'où il avait été tiré, tout en préparant pour lui le salut de la nouvelle naissance en ton Christ ; car dans ta bonté Tu ne T'es pas détourné à jamais de la créature que Tu avais faite, et Tu n'as pas oublié l'œuvre de tes mains, mais Tu l'as visitée de diverses façons dans la profondeur de ta miséricorde. Tu as envoyé les prophètes, Tu as fait des prodiges par tes saints qui, à chaque génération, Te furent agréables ; Tu nous as parlé par la bouche de tes serviteurs les prophètes, pour nous annoncer le salut à venir ; Tu nous as donné la Loi pour notre secours ; Tu as établi les anges pour notre garde ; et lorsque la plénitude des temps fut venue, Tu nous as parlé par ton Fils Lui-même, par qui Tu avais fait les siècles ; Lui qui est le resplendissement de ta gloire, l'empreinte de ton être, qui porte tout par sa puissante parole, n'a pas considéré comme une proie à ravir d'être ton égal, Toi Dieu et Père ; mais bien qu'étant Dieu dès avant les siècles, Il est apparu sur terre et a vécu parmi les hommes, Il a pris chair de la Vierge sainte, Il s'est anéanti Lui-même en prenant la forme d'un serviteur, se conformant à notre corps de faiblesse pour nous rendre conformes à l'image de sa gloire. »
Les discours d'Etienne (Actes 7, 2-53) et de Paul (Actes 13, 16-41) ne font pas autre chose que de rappeler toute l'histoire de l'Ancien Testament pour montrer comment elle s'accomplit dans le salut en Christ.
- Comme deuxième exemple, voici une prière pour la guérison des malades :
« De même que jadis tu as relevé de leur lit les malades et ceux qui étaient atteints de blessures mortelles, comme la belle-mère de Pierre et le paralytique porté sur son grabat, de même aujourd'hui, ô Miséricordieux, visite et guéris ce malade ; car seul Tu as pris sur toi les maladies et les souffrances des hommes, et rien ne t'est impossible, ô Très-miséricordieux. »
Dans l'Eglise orthodoxe, il n'y a pas de magistère qui donnerait l'interprétation juste. Nous prêchons la Parole comme elle retentit dans la plénitude de l'Eglise, comme elle vit dans la conscience de l'Eglise.
L'orthodoxie ne rejette pas les méthodes d'exégèse moderne. Mais c'est la compréhension patristique, et telle qu'elle s'exprime dans la Liturgie , qui est privilégiée. Les Pères ne rejetaient pas non plus les connaissances de leur temps qui pouvaient aider à la compréhension : ce que l'on peut savoir du contexte, de l'histoire, de la forme du texte, de la syntaxe…
Utiliser les instruments disponibles, oui, mais seulement dans le but de mieux pénétrer l'intelligence des Ecritures, l'intelligence du mystère du Christ, comme dit saint Paul dans l'Epitre aux Ephésiens (Eph. 3, 4).
Cette méthode de lecture est légitimée par la Bible , et par Jésus Lui-même : « Vous sondez les Ecritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle : ce sont elles qui rendent témoignage de moi. » (Jean 5, 39).
Le Nouveau Testament est une lecture typologique de l'Ancien : les événements du passé biblique sont vus comme des préfigures qui annoncent ce qui sera accompli dans le futur, et l'actualisent par avance.
Voici quelques exemples (les deux premiers sont donnés par Jésus Lui-même) :
Le signe de Jonas : « De même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre d'un grand poisson, de même le Fils de l'homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre. » (Matth. 12, 40)
Le serpent d'airain : « Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l'homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. » (Jean 3, 14-15)
Le rocher (un exemple donné par Paul) : « Frères, je ne veux pas que vous ignoriez que nos pères ont tous été sous la nuée, qu'ils ont tous passé au travers de la mer, qu'ils ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, qu'ils ont tous mangé le même aliment spirituel, et qu'ils ont tous bu le même breuvage spirituel, car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était le Christ. » (1 Cor. 10, 1-4)
Un exemple de passage interprété par Pierre comme prophétie de la Résurrection : « Hommes Israélites, écoutez ces paroles ! Jésus de Nazareth, cet homme à qui Dieu a rendu témoignage devant vous par les miracles, les prodiges et les signes qu'il a opérés par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes ; cet homme, livré selon le dessein arrêté et selon la prescience de Dieu, vous l'avez crucifié, vous l'avez fait mourir par la main des impies. Dieu l'a ressuscité, en le délivrant des liens de la mort, parce qu'il n'était pas possible qu'il fût retenu par elle. Car David dit de lui (Ps. 15, 8-11) : "Je voyais constamment le Seigneur devant moi, parce qu'il est à ma droite, afin que je ne sois point ébranlé. Aussi mon cœur est dans la joie, et ma langue dans l'allégresse ; et même ma chair reposera avec espérance, car tu n'abandonneras pas mon âme dans le séjour des morts, et tu ne permettras pas que ton Saint voie la corruption. Tu m'as fait connaître les sentiers de la vie, Tu me rempliras de joie par ta présence." Hommes frères, qu'il me soit permis de vous dire librement, au sujet du patriarche David, qu'il est mort, qu'il a été enseveli, et que son sépulcre existe encore aujourd'hui parmi nous. Comme il était prophète, et qu'il savait que Dieu lui avait promis avec serment de faire asseoir un de ses descendants sur son trône, c'est la résurrection du Christ qu'il a prévue et annoncée, en disant qu'il ne serait pas abandonné dans le séjour des morts et que sa chair ne verrait pas la corruption. » (Actes 2, 22-31 ; Paul fait la même lecture en Actes 13, 34-37.)
Remarque : Pierre suit ici la Septante ( la Bible hébraïque parle de sécurité au lieu d'espérance, or la résurrection est bien une question d'espérance, et non de sécurité).
Les commentaires des Pères continuent cette lecture typologique. Jean Chrysostome, dans son commentaire sur Isaïe Jean Chrysostome : Commentaire sur Isaïe.
Sources Chrétiennes n° 304. Cerf 1983., justifie la lecture typologique lorsqu'elle est déjà contenue ou suggérée dans le texte (conformément à l'école d'Antioche, et contrairement à celle d'Alexandrie, il n'était pas partisan d'aller trop loin dans l'allégorie).
Ainsi, à propos du Cantique d'Isaïe sur la vigne : « Je chanterai pour mon bien-aimé le cantique de mon ami pour ma vigne. Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau fertile. Je l'ai entourée d'une clôture, j'y ai mis une palissade. J'ai planté une vigne de bonne souche. J'ai édifié une tour, et en son milieu un pressoir. J'ai attendu qu'elle donnât du raisin, mais elle donna des épines. Et maintenant, homme de Juda et vous qui habitez Jérusalem, soyez juges entre moi et ma vigne. (…) La vigne du Seigneur Sabaoth, c'est la maison d'Israël, et l'homme de Juda, c'est le jeune plant bien-aimé. J'ai attendu de lui du discernement et il a commis l'iniquité ; au lieu de la justice, voilà des cris ! » (Is. 5, 1-7)
Jean Chrysostome commente ainsi : « Ici, nous trouvons encore un autre enseignement : de nous apprendre quand et pour quels passages des Ecritures il faut recourir à l'allégorie, de nous apprendre que nous ne sommes pas maîtres de ces règles, mais que c'est dans la fidélité à la pensée de l'Ecriture qu'il nous faut user de l'explication allégorique. Voici ce que je veux dire. L'Ecriture a employé ici les mots vigne, pressoir, clôture, elle n'a pas laissé l'auditeur maître d'appliquer à sa guise ces termes à des choses et des personnes, mais elle s'est ensuite interprétée elle-même en disant : La vigne du Seigneur Sabaoth, c'est la maison d'Israël. »
Remarque : Le thème de la vigne se retrouve dans le psaume 79 ainsi que dans la parabole des vignerons homicides (Matth. 21, 33-42). Tous ces textes sont à comprendre ensemble. Ils renvoient aussi au jardin du Paradis, ainsi qu'à l'Eglise (cf. le psaume 79 dans la liturgie pontificale) qui est révélation du Royaume.
Cette lecture typologique des Pères est passée dans l'hymnographie byzantine. Voici par exemple un chant pour la fête de l'Annonciation : « Gabriel se présenta devant toi, jeune Vierge, pour te révéler le dessein d'avant les siècles. Il te salua en disant : Réjouis-toi, terre non ensemencée, réjouis-toi, buisson ardent, réjouis-toi, profondeur insondable, réjouis-toi, pont qui mène au ciel, échelle élevée que vit Jacob, réjouis-toi, vase divin qui contient la manne, réjouis-toi, délivrance de la malédiction, réjouis-toi, libération d'Adam, le Seigneur est avec toi. »
Le buisson ardent, le vase qui a contenu la manne, l'arche d'Alliance, l'échelle de Jacob… sont des thèmes classiques utilisés dans les fêtes mariales.
Ainsi le Buisson ardent (le feu qui ne consume pas le buisson, cf. Ex. 3) est une figure de la maternité virginale, de la conception et de l'enfantement qui ne détruisent pas la virginité de la Mère de Dieu. Il annonce le mystère de l'Incarnation (Dieu qui se rend présent dans la chair) et illustre le dogme de Chalcédoine : le Christ vrai Dieu et vrai homme, sans séparation ni confusion. Mais il nous parle aussi du mystère de la communion sacramentelle : le feu de la divinité qui ne consume pas notre humanité. Et nous pouvons encore y voir une évocation de la divinisation, qui est le but de la vie chrétienne : « Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu » disent les Pères. Divinisation qui signifie « participation à la nature divine » (2 Pi. 1, 4), qui ne détruit pas la nature humaine, mais l'accomplit, la porte à sa perfection selon le commandement : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Matth. 5, 48).
La Bible est donc encore présente dans la prière par l'hymnographie. La Parole de Dieu ne se limite pas au texte écrit. Il y a tout ce qui est chanté, tout ce qui est prié dans l'Eglise. La Bible ne peut être séparée des commentaires des saints pères, dont beaucoup sont devenus des textes liturgiques (prières et hymnes).
Il faut rappeler que pour l'Eglise orthodoxe, comme pour l'Eglise primitive, le texte de référence pour l'Ancien Testament n'est pas l'hébreu, mais la version grecque des Septante (traduction établie à Alexandrie au 3e siècle avant Jésus-Christ pour les juifs dispersés qui ne comprenaient plus l'hébreu). Le problème ne se pose pas pour le Nouveau Testament, dont l'original est le texte grec pour tout le monde. Saint Jérôme (au début du 5e siècle) s'était déjà servi de manuscrits hébreux (aujourd'hui disparus) pour sa traduction latine ( la Vulgate) ; mais pour les psaumes, il continuait à utiliser la Septante , tant la tradition s'était imposée. C'est sous l'influence de la Réforme au 16e siècle qu'on a systématisé le recours à l'hébreu dans les Eglises d'occident, croyant à tort que c'était le texte original non altéré. Or le texte hébreu complet le plus ancien est celui compilé par les Massorètes entre le 7e et le 9e siècles après Jésus-Christ. Mais aujourd'hui, grâce aux manuscrits de Qumran découverts au 20e siècle, nous savons que des versions de la Bible (en hébreu et en araméen) qui étaient utilisées au temps du Christ, et donc antérieures au texte massorétique, se rapprochaient davantage de celle des Septante. Lorsque le Seigneur citait les Ecritures, il est donc permis de penser qu'Il les citait (en araméen) dans une version proche de la Septante. En tout cas, toutes les citations de l'Ancien Testament dans le Nouveau (elles sont nombreuses dans les Evangiles, et plus encore dans les épitres) sont tirées de la Septante.
Lorsqu'il y a divergence (les cas ne sont pas rares), c'est la septante qui est considérée comme traduction inspirée, dans le sens d'un progrès vers l'Evangile.
Nous avons déjà vu l'exemple du psaume 15 : « ma chair reposera avec espérance ». Un autre exemple me semble intéressant : celui de la prophétie d'Isaïe lue à la Vigile de Noël.
Voici la traduction d'après le texte hébreu (Is. 7) : « 14 C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d'Emmanuel. »
Je n'insisterai pas sur le cas bien connu de ce verset : la jeune fille du texte hébreu devient la Vierge dans la Septante , ce qui permet à l'évangéliste (Matth. 1, 22-23) de présenter la conception virginale du Christ comme l'accomplissement de cette prophétie.
Mais la suite paraît bien obscure dans l'hébreu : « 15 Il mangera de la crème et du miel, jusqu'à ce qu'il sache rejeter le mal et choisir le bien. 16 Mais avant que l'enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays dont tu crains les deux rois sera abandonné. »
Voici maintenant la traduction d'après la Septante : « 14 (Isaïe s'adresse ici à toute la maison de David) C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici, la vierge deviendra enceinte, elle enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d'Emmanuel. 15 Il mangera du beurre et du miel ; avant de connaître par lui-même ou de choisir le mal, il élira le bien. 16 Car, avant que le petit enfant connaisse le bien et le mal, il se détourne du mal pour choisir le bien. (Dans la suite du verset 16, Isaïe s'adresse de nouveau au roi Achaz) : Elle sera épargnée, la terre pour laquelle tu as peur, loin des regards des deux rois. »
Dans cette version, et avec le commentaire de Saint Jean Chrysostome, la prophétie prend tout son sens. Prophétisant la naissance virginale du Seigneur (v. 14), Isaïe indique l'origine divine de l'enfant qui doit naître, ce qu'il confirme par ce nom d'Emmanuel (Dieu est avec nous). En ajoutant qu'il mangera du beurre et du miel (v. 15), il parle de sa nature humaine. Puisque l'enfant mis au monde n'est pas seulement un homme, ni seulement Dieu, mais Dieu dans un homme, le prophète diversifie son discours, parlant tantôt d'un aspect, tantôt de l'autre. La fin du verset 15 et le début du verset 16 précisent que, contrairement à tout homme qui vient dans ce monde, il s'écartera du mal avant même d'en avoir fait l'expérience, autrement dit que, dès l'origine, il est pur de tout péché. Il assume l'intégralité de la nature humaine, hormis le péché, comme Il le dit lui-même : « Qui me convaincra de péché ? » (Jean 14, 30).
Ainsi, en quelques mots, les principaux aspects de la théologie chrétienne sont annoncés : né de la Vierge , le Christ est vrai Dieu et vrai homme, Il est le seul sans péché et nous délivre du péché.
Certains d'entre vous ont peut-être vu le très beau film « L'île » de Pavel Lounguine : dans un monastère orthodoxe, sur une île au nord de la Russie , on y voit un moine au comportement étrange, mais habité par la prière, qui récite la prière du Nom de Jésus tout en vaquant à ses occupations et qui s'exprime presque exclusivement en citant les psaumes.
Je voudrais terminer par quelques considérations sur ces deux formes de prière.
Dans les monastères, la vie quotidienne est rythmée par la prière des Heures (Vêpres, Matines, Prime, Tierce, Sexte, None…). Tous les fidèles ne suivent évidemment pas cette règle, mais ils peuvent s'en inspirer, en l'adaptant, pour élaborer leur propre règle de prière.
Ces offices sont structurés essentiellement autour des psaumes. Il y a d'une part des psaumes fixes dans chaque office. Et d'autre part, le psautier est découpé en vingt cathismes prévus pour une lecture complète répartie sur la semaine. Chaque cathisme compte en moyenne 7 ou 8 psaumes, selon leur longueur, ce qui correspond environ à un quart d'heure de lecture.
Les psaumes sont donc toujours la base de la prière chrétienne :
- Les psaumes sont constamment cités dans le Nouveau Testament, y compris dans la bouche de Jésus. Les psaumes sont la prière du Christ, ils nous parlent du Christ, et par eux nous prions le Christ.
- Pour Paul, la prière consiste en « psaumes, hymnes et cantiques spirituels » (Eph. 5, 19 ; Col. 3, 16). Pour Jésus, les Ecritures (qui parlent de Lui), c'est « la Loi , les Prophètes et les Psaumes » (Luc 24, 44).
Importance de la traduction
Pour prier avec les psaumes, encore convient-il de disposer d'une traduction qui s'y prêteNous recommandons la traduction du père Placide Deseille : Les Psaumes, Prières de l'Eglise.
Le psautier des Septante. YMCA-Press. Paris 1979.. Or il faut bien constater que ce n'est pas toujours le cas : en lisant les psaumes dans certaines bibles, on voit que le traducteur ne l'utilise pas pour prier. La façon de lire a aussi son importance : nous préférons le mode recto-tono, ou psalmodié avec sobriété.
Quelques exemples de psaumes :
« Vers Toi, Seigneur, j'élève mon âme ; mon Dieu, en Toi je mets ma confiance… » (Ps. 24)
« Dieu, mon Dieu, pour Toi je veille dès l'aurore, mon âme a soif de Toi… » (Ps. 62)
« De ma voix, j'ai crié vers le Seigneur, de ma voix, j'ai crié vers Dieu, et Il m'a prêté attention. Au jour de ma tribulation, j'ai cherché Dieu ; j'ai tendu les mains vers lui dans la nuit, et je n'ai pas été déçu ; mon âme a refusé toute autre consolation… » (Ps. 76)
« Il est bon de confesser le Seigneur, et de chanter ton Nom, ô Très-Haut, pour annoncer au matin ta miséricorde, et ta vérité durant la nuit… » (Ps. 91)
« Venez, réjouissons-nous pour le Seigneur, acclamons Dieu notre Sauveur. Allons en sa présence en Le confessant, acclamons-Le par des psaumes … » (Ps. 94)
« Seigneur, exauce ma prière, et que mon cri parvienne jusqu'à Toi. Ne détourne pas de moi ta Face ; au jour où je suis dans l'affliction, incline vers moi ton oreille ; au jour où je vais T'invoquer, hâte-Toi de m'exaucer… » (Ps. 101)
« Bénis le Seigneur, ô mon âme, et que tout ce qui est en moi bénisse son saint Nom… » (Ps. 102)
« Seigneur, exauce ma prière, prête l'oreille à ma supplication en ta vérité, exauce-moi en ta justice et n'entre pas en jugement avec ton serviteur, car nul vivant ne sera justifié devant Toi… » (Ps. 142)
Où peut-on trouver mieux comme prière ?
La prière de Jésus est très pratiquée dans le monde orthodoxe. Elle consiste à invoquer le nom de Jésus de manière répétée en une courte formule (d'où le nom de prière monologique : une seule parole). La formule habituelle est : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ». L'avantage est qu'on peut la dire à tout moment, que l'on soit occupé ou non.
Le principe de l'invocation continuelle est biblique : « Priez sans cesse » (1 Thess. 5, 17). « Je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront… Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » (Joël 2, 28-32, cité par Pierre dans son discours de la Pentecôte en Actes 2, 17-21 ; et par Paul en Rom. 10, 13).
Et de fait, l'invocation du Nom du Seigneur traverse toute la Bible , dès les premiers hommes :
« Seth (fils d'Adam) eut aussi un fils, et il l'appela du nom d'Enosch. C'est alors que l'on commença à invoquer le nom du Seigneur. » (Gen. 4, 26)
« Et David fit monter l'arche de Dieu, devant laquelle est invoqué le nom du Seigneur des armées qui réside entre les chérubins au-dessus de l'arche. » (2 Sam. 6, 2)
« Et vous direz en ce jour-là : Louez le Seigneur, invoquez son nom, publiez ses œuvres parmi les peuples, rappelez la grandeur de son nom ! » (Is. 12, 4)
« Et j'ai invoqué le Nom du Seigneur : Seigneur, délivre mon âme ! » (Ps. 114, 4)
« Que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu'il m'a rendu ? Je prendrai la coupe du salut, et j'invoquerai le nom du Seigneur. » (Ps. 115, 3-4)
L'un des noms préférés de Dieu est « Seigneur » : « Qu'ils sachent que ton Nom est Seigneur, Toi le seul Très-Haut sur toute la terre » (Ps. 82, 19). C'est l'équivalent ici du Tétragramme hébraïque YHWH (Yodh, Heh, Wav, Heh), que certaines Bibles modernes transcrivent sous la forme « Yaveh », mais que les juifs s'interdisent de prononcer et remplacent par « Adonaï ». Les Bibles protestantes traduisent par « l'Eternel ». Mais la Septante a traduit par « Kyrios », qui est l'équivalent de « Adonaï », c'est-à-dire « le Seigneur ».
A partir du Nouveau Testament, le Nom de Dieu est aussi « Jésus ». Lorsque les prêtres du Temple de Jérusalem demandent au nom de qui il fait des guérisons, Pierre répond : « C'est au nom de Jésus-Christ… Car il n'y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés. » (Actes 4, 10-12)
En effet, le Tétragramme signifie : « Je suis Celui qui est » ou « mon nom est Je suis ». C'est la réponse de Dieu à la question de Moïse devant le Buisson Ardent : « Quel est ton Nom ? » (Ex. 3, 13-14). Et Jésus reprend ce Nom à son compte : « Avant qu'Abraham fut, Je suis » (Jean 8, 58). L'identification de Jésus avec le Dieu qui s'est révélé à Moïse est indiquée sur les icônes par les trois lettres grecques dans la croix de l'auréole du Christ : « ὁ ὤν », c'est-à-dire : « Celui qui est ».
Les Actes des Apôtres parlent de « ceux qui invoquent le nom du Seigneur Jésus » pour désigner les chrétiens (Act. 9, 14 ; 9, 21 ; 19, 13 …). Et Paul s'adresse « à tous ceux qui invoquent en quelque lieu que ce soit le nom de notre Seigneur Jésus-Christ » (1 Cor. 1, 2).
La formulation de la prière de Jésus est biblique elle aussi. Il s'agit d'une contraction de la prière de l'aveugle de Jéricho « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi » (Luc 18, 35-43) et de la prière du Pharisien « Ô Dieu, aie pitié de moi pécheur » (Luc 18, 17).
C'est une formule développée d'une prière plus archaïque : « Kyrie eleison » (Seigneur, aie pitié, ou fais-nous miséricorde, ou donne-nous ta grâce). Le Kyrie eleison qui reste la prière de l'Eglise dans les litanies (le prêtre ou le diacre annonce l'intention de la prière, et le peuple répond par la prière : Kyrie eleison).
Quel est l'intérêt, quel est le but de cette invocation continuelle ? C'est d'être habité par Dieu. La Bible nous parle lorsqu'elle nous habite.
En conclusion, si j'ai dû au départ reformuler la question « la Bible nous parle-t-elle encore », je crois néanmoins avoir montré « comment la Bible nous parle » dans l'Eglise orthodoxe.