METZ
PAROISSE ORTHODOXE DES TROIS SAINTS HIERARQUES
Basile-le-Grand, Grégoire-le-Théologien et Jean-Chrysostome
православная церковь русской традиции
« Saint, saint, saint, Seigneur Sabaoth (Dieu des armées célestes) ! Le ciel et la terre sont emplis de ta gloire ! »
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre, bienveillance parmi les hommes ! »
Ces deux prières, qui nous sont habituelles, et qui sont passées dans nos Liturgies, nous ont été communiquées par des anges. La première par l’intermédiaire du prophète Isaïe dans sa vision du Seigneur sur un trône (Is. 6,1-3). La seconde par l’intermédiaire des bergers à Bethléem la nuit de la Nativité du Christ (Luc 2,8-14).
Par ces magnifiques prières, les anges nous apprennent à louer le Dieu-Trois-Fois-Saint (la Trinité), qui est au plus haut des cieux (c’est-à-dire au-delà de tout), et ils nous annoncent que la gloire et la paix du ciel (c’est-à-dire qui appartiennent à Dieu) descendent jusqu’à nous sur cette terre.
Les anges sont les premiers à célébrer Dieu. La Liturgie orthodoxe est vécue comme une participation à la Liturgie céleste, une concélébration avec les anges. Voici par exemple la prière d’Entrée de la Liturgie de saint Jean-Chrysostome : « Maître et Seigneur, notre Dieu, Toi qui as établi dans les cieux les ordres et les armées des anges et des archanges pour servir ta gloire, fais que notre entrée soit aussi l'entrée des saints anges qui célèbrent et glorifient avec nous ta bonté. » Et la prière eucharistique : « (…) Nous Te rendons grâce aussi pour cette Liturgie, que Tu as jugé digne de recevoir de nos mains, bien que se tiennent auprès de Toi des milliers d'archanges et des myriades d'anges, les chérubins et les séraphins, aux six ailes, aux yeux innombrables, volant dans les cieux, chantant, clamant, criant l'hymne de victoire et disant : Saint, Saint, Saint, Seigneur Sabaoth ! Le ciel et la terre sont emplis de ta gloire (Is. 6,3). Hosanna au plus haut des cieux ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! » (Matth. 21,9).
Les anges (bons ou méchants) ont une place importante dans la Bible : les noms ange, démon ou équivalents y sont cités au moins 400 fois.
Quand sont-ils apparus dans l’histoire des religions ? Des spécialistes expliqueront leurs origines babyloniennes, mésopotamiennes… Je n’entrerai pas sur ce terrain : je ne suis pas spécialiste, et ce n’est pas l’aspect qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse, c’est la place des anges dans l’expérience spirituelle chrétienne.
Dans une première partie, nous parlerons principalement des bons anges. Les mauvais feront l’objet d’une deuxième partie.
Certains anges sont connus par leur nom propre (Michel, Gabriel, Raphaël…), mais la plupart du temps ils sont désignés par leurs noms communs. Denis l’Aréopagite (un auteur chrétien du 5e siècle), dans sa célèbre Hiérarchie célesteLa Hiérarchie céleste, dans Œuvres complètes du Pseudo-Denys l’Aréopagite. Aubier Montaigne 1980., distingue neuf catégories en trois ordres hiérarchiques, à savoir (en partant des plus élevés) : séraphins, chérubins, trônes ; dominations, puissances, vertus ; principautés, archanges, anges.
Le nom ange vient du grec aggelos, qui veut dire messager (ce qui est symbolisé par les ailes). C’est à la fois un nom générique pour toutes les catégories, et le nom de l’ordre le plus bas.
La plupart de ces noms se trouvent dans les épitres de l’apôtre Paul : « Car j'ai l'assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur » (Rom. 8,38-39). « A moi, qui suis le moindre de tous les saints, cette grâce a été accordée d'annoncer aux païens les richesses incompréhensibles du Christ, et de mettre en lumière quelle est la dispensation du mystère caché de tout temps en Dieu qui a créé toutes choses, afin que les dominations et les autorités dans les lieux célestes connaissent aujourd'hui par l'Eglise la sagesse infiniment variée de Dieu, selon le dessein éternel qu'il a mis à exécution par Jésus-Christ notre Seigneur » (Eph. 3,8-11 ; voir aussi Eph. 6,11-12 ; Col. 1,16 cités plus loin).
Les séraphins (étymologiquement : ceux qui brulent, illuminés et chauffés par la proximité de Dieu) sont apparus (avec leurs six ailes caractéristiques) dans une vision (ci-dessus citée) du prophète Isaïe : « L'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui ; ils avaient chacun six ailes ; deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et deux dont ils se servaient pour voler. Ils criaient l'un à l'autre, et disaient : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Sabaoth ! Toute la terre est emplie de sa gloire ! » (Is. 6,1-3).
Les chérubins, quant à eux, sont convoqués dès la Genèse pour garder le Paradis fermé après l’exil d’Adam : « C'est ainsi que le Seigneur chassa Adam ; et Il mit à l'orient du jardin d'Eden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l'arbre de vie » (Gen. 3,24). Ils apparaissent encore dans la célèbre vision d’Ezéchiel, qui note : « Tout le corps des chérubins, leur dos, leurs mains, et leurs ailes, étaient remplis d'yeux » (Ezéch. 10,12). Leurs yeux innombrables symbolisent leur aptitude à contempler et à connaître Dieu, ce que signifie leur nom.
Chose exceptionnelle dans la loi mosaïque, des chérubins vont même être sculptés par des mains d’hommes sur l’ordre de Dieu. Après la sortie d’Egypte, sur le mont Sinaï, Dieu commande à Moïse de construire une Arche (l’Arche d’alliance, sorte de sanctuaire itinérant) pour y déposer le Témoignage, c’est-à-dire les Tables de la Loi (les dix Commandements) et de la recouvrir d’un propitiatoire en or. Et Dieu dit à Moïse : « Tu feras deux chérubins en or, ciselés, et tu les placeras des deux côtés du propitiatoire. (…) Ils auront leurs ailes étendues vers le haut, ombrageant de leurs ailes le propitiatoire, et leurs faces l’une vers l’autre, tournées vers le propitiatoire. (…) C’est de là que Je me ferai connaître à toi ; Je te parlerai d’au-dessus du propitiatoire, au milieu des chérubins placés sur l’arche du Témoignage » (Ex. 25,18-22). C’est devant cette Arche que David, avec tout le peuple, « invoquait le Nom du Seigneur Sabaoth qui réside entre les chérubins au-dessus de l'arche » (2 Rois 6,2). Plus tard, lorsque le roi Salomon construira le Temple de Jérusalem pour y placer de manière permanente l’Arche d’alliance, il y placera de nouveau des chérubins en bois d’olivier, recouverts d’or (3 Rois 6,23-28).
Il faut préciser que la classification de Denis l’Aréopagite n’a rien d’absolu, elle est symbolique, et il en existe d’autres. On peut d’ailleurs se demander pourquoi fallait-il des êtres intermédiaires entre Dieu et les hommes, et quel est le rôle de cette hiérarchie. Dieu ne pouvait-Il pas entrer directement en relation avec les hommes ? Selon Denis l’Aréopagite, en résumant son exposéLa Hiérarchie céleste (III,2 ; IV,2), op. cit., la Hiérarchie est un moyen pour Dieu, qui est totalement transcendant, inaccessible dans son essence, de permettre aux hommes de participer à sa divinité (cf. 2 Pi. 1,4). Les êtres célestes qui lui sont les plus proches reçoivent par illumination une part de cette participation à la gloire divine, pour autant que leur nature le leur permet, et la communiquent de proche en proche jusqu’à nous, en proportion de ce que chacun est capable de recevoir, selon le mode qui convient à chacun.
Dans les textes bibliques, les anges apparaissent souvent sous des traits humains ou d’animaux (avec des ailes, des yeux, des mains, parfois portant une épée…). Leur représentation dans l’iconographie traditionnelle s’est conformée à ces descriptions. Mais en réalité, selon leur nature, ce sont des êtres incorporels, immatériels, de purs esprits, et il est vain de disserter sur la nature sensible ou spirituelle de leurs apparitions. Selon Denis l’Aréopagite, s’ils se revêtent de figures et de formes matérielles, c’est pour que nous nous élevions, à partir d’elles, de façon analogique, aux réalités spirituelles ineffables dont elles ne sont que des imagesLa Hiérarchie céleste (I,3), op. cit..
D’après la Bible, ces êtres incorporels sont des créatures. Ils ne sont pas de nature divine. Ils ont été créés (les premiers) par Dieu : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre » (Gen. 1,1). Le ciel représente la partie immatérielle du créé, le monde des anges, c’est pourquoi on les appelle aussi esprits célestes. Saint Paul le confirme : « Car en Lui (le Christ) ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, trônes, dignités, dominations, autorités. Tout a été créé par Lui et pour Lui » (Col. 1,16).
Les anges font donc partie de ces réalités invisibles. Le monde créé, en effet, ne se limite pas à ce que l’on voit. Ce qui est visible tire son origine de réalités invisibles : « C'est par la foi que nous reconnaissons que le monde a été formé par la parole de Dieu, en sorte que ce qu'on voit n'a pas été fait de choses visibles » (Hébr. 11,3).
Par exemple, lorsque nous voyons une pomme qui tombe d’un arbre, nous ne voyons que l’aspect matériel de la pomme. Mais devant ce même spectacle, Newton (17e siècle) a compris qu’il y avait une force invisible, la force de gravitation, qui mettait la pomme en mouvement, et il a réussi à décoder la loi physique qui était derrière. Les lois sont immatérielles (de nature spirituelle), mais agissent sur le matériel, on ne les voit pas mais on voit leurs effets. Il n’est pas absurde de dire que ces lois sont gardées et gouvernées par des anges.
De manière analogue, il y a des forces (personnifiées) qui mettent notre âme en mouvement.
Les anges peuvent avoir différentes fonctions. A l’égard de Dieu : la louange ; au service des hommes : l’aide et la protection pour leur salut. Et bien sûr, ils interviennent fréquemment comme messagers de Dieu, ce qu’indique leur nom.
Voyons un peu plus en détail, successivement dans l’Ancien puis dans le Nouveau Testaments.
Nous avons déjà évoqué la fonction de louange, avec les séraphins autour du trône de Dieu dans la vision d’Isaïe (Is. 6,1-3).
Passons rapidement sur la fonction de guide et de protection, avec par exemple l’ange envoyé pour guider Moïse et le peuple hébreu depuis la sortie d’Egypte jusqu’à la terre promise : « Voici, j'envoie un ange devant toi, pour te protéger en chemin, et pour te faire arriver au lieu que j'ai préparé » (Ex. 23,20), ou avec l’archange Raphaël, envoyé pour aider Tobie à épouser Sara en se débarrassant du démon Asmodée (Tob. chap. 5 à 8).
Venons-en à l’Ange du Seigneur, par qui Dieu manifeste sa présence et communique sa Parole. D’après l’Apôtre Paul, si Dieu, dans ces derniers temps (c’est-à-dire depuis l’Incarnation), nous a parlé par son propre Fils (Hébr.1,2), c’est par des anges qu’Il a parlé, donné la loi et fait connaître son dessein de salut dans l’Ancien Testament : « La loi a été donnée à cause des transgressions, jusqu'à ce que vînt la postérité à qui la promesse avait été faite ; elle a été promulguée par des anges, au moyen d'un médiateur » (Gal. 3,19 ; cf. aussi Hébr. 2,2-4).
L’ange du SeigneurIl faut savoir que, dans la Bible, le nom Seigneur (Kyrios en grec, selon la version des Septante, privilégiée par la tradition orthodoxe) se rapporte au Tétragramme YHVH de la version hébraïque, que les juifs n’ont pas le droit de prononcer et qu’ils remplacent par Adonaï. Certaines bibles catholiques traduisent par Yahvé, les bibles protestantes par l’Eternel. apparaît maintes fois dans l’Ancien Testament. Faut-il y voir simplement un ange, ou Dieu Lui-même, ou l'introducteur immédiat à la Présence divine ? Il ne faut pas oublier que, pour la Bible, celui qui envoie est réellement présent dans l'envoyé. Voyons dans les textesNous nous référons ici en grande partie à l’ouvrage du père Boris Bobrinskoy : Le mystère de la Trinité (p. 26). Cerf. 1986..
Parfois, Dieu parle directement à certains hommes : « Le Seigneur dit à Abram : Va-t-en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père, dans le pays que Je te montrerai » (Gen. 12,1). « Dieu dit à Abraham : Toi, tu garderas mon alliance, toi et tes descendants après toi, selon leurs générations. C'est ici mon alliance, que vous garderez entre Moi et vous, et ta postérité après toi : tout mâle parmi vous sera circoncis » (Gen. 17,9-10).
Pour l’annonce de la naissance d’Ismaël à Agar, le texte mentionne à plusieurs reprises l'Ange du Seigneur : « L'ange du Seigneur la trouva près d'une source d'eau dans le désert, près de la source qui est sur le chemin de Schur. Il dit : Agar, servante de Saraï, d'où viens-tu, et où vas-tu ? Elle répondit : Je fuis loin de Saraï, ma maîtresse. L'ange du Seigneur lui dit : Retourne vers ta maîtresse, et humilie-toi sous sa main. L'ange du Seigneur lui dit : Je multiplierai ta postérité, et elle sera si nombreuse qu'on ne pourra la compter. L'ange du Seigneur lui dit : Voici, tu es enceinte, et tu enfanteras un fils, à qui tu donneras le nom d'Ismaël ; car le Seigneur t'a entendue dans ton affliction » (Gen. 16,7-11). Mais il conclut : « Au Seigneur qui lui avait parlé, Agar donna ce nom : Tu es El Roï, c'est-à-dire Dieu de vision » (Gen. 16,13).
L'apparition des trois hommes à Abraham sous le chêne de Mambré s'apparente au groupe des apparitions de l'Ange du Seigneur. L’un d’entre eux parle, les deux autres restent silencieux. Par l’accueil humble et coutumier des étrangers, c’est Dieu Lui-même qui est reçu et servi, et qui annonce à Sarah qu’elle aura un fils. L’alternance du singulier et du pluriel, du tu et du vous est frappante : « Abraham regarda et vit trois (hommes)… Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, permets qu’on apporte un peu d’eau pour vous laver les pieds… Abraham se tenait debout devant eux sous l’arbre et ils mangèrent » (Gen. 18,2-8).
Nous retrouvons l'Ange au sacrifice d'Isaac : « Alors l'ange du Seigneur l'appela des cieux, et dit : Abraham ! Abraham ! Et il répondit : Me voici ! L'ange dit : N'avance pas ta main sur l'enfant, et ne lui fais rien ; car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique… » (Gen. 22,11-18).
Même balancement dans le récit du Buisson Ardent : « Moïse faisait paître le troupeau de Jéthro, son beau-père, sacrificateur de Madian ; et il mena le troupeau derrière le désert, et vint à la montagne de Dieu, à Horeb. L'ange du Seigneur lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d'un buisson. Moïse regarda ; et voici, le buisson était tout en feu, et le buisson ne se consumait pas. Moïse dit : Je veux me détourner pour voir quelle est cette grande vision, et pourquoi le buisson ne se consume pas. Le Seigneur vit qu'il se détournait pour voir ; et Dieu l'appela du milieu du buisson, et dit : Moïse ! Moïse ! Et il répondit : Me voici ! Dieu dit : N'approche pas d'ici, ôte tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte » (Ex. 3,1-5).
Dans la suite du Livre de l’Exode, lors de la sortie d’Egypte et du don de la Loi, l’Ange disparait au profit du Seigneur Lui-même : « Le Seigneur dit à Moïse… ». Mais, écrit Denis l’Aréopagite : « si l'Ecriture s'exprime ainsi, c'est pour que nous ne puissions pas ignorer que ces prescriptions sont l'image même de la Loi divine et sacrée. En vérité la théologie enseigne sagement que ces prescriptions elles-mêmes vinrent à nous par l'entremise des anges (Hébr. 2,2). »La Hiérarchie céleste (IV,3), op. cit.
Dans la prophétie d’Isaïe, le Messie dont la naissance est annoncée reçoit le titre d’Ange du grand conseil (Is. 9,5), ce que Denis l’Aréopagite justifie ainsi : « N'a-t-il pas parlé lui-même, en effet, comme un messager, lorsqu'il notifia aux hommes ce qu'il avait appris du Père ? »La Hiérarchie céleste (IV,4), op. cit.
Dans une perspective assez semblable, les Pères alexandrins ont identifié l'Ange du Seigneur et le Logos, seconde Personne de la Trinité. De leur côté, saint Irénée et Théodoret de Cyr ont montré que Dieu préparait l'incarnation du Verbe par les théophanies préfiguratives. Ils ont rangé l'Ange du Seigneur parmi ces théophanies.
L’annonce de l’Incarnation et les interventions autour de la Nativité
Nous retrouvons l’Ange du Seigneur au début du Nouveau Testament. C’est lui, en effet, qui apparaît au grand prêtre Zacharie pour lui annoncer que l'enfant qui naîtrait de lui contre toute espérance et par la grâce de Dieu serait le prophète et le précurseur de Jésus le Sauveur (Luc 1,11).
C’est à un Ange du Seigneur, l’Archange Gabriel, qu’il revient d’annoncer l’accomplissement du mystère de l’Incarnation : « Au sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, auprès d'une vierge fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph. Le nom de la vierge était Marie. L'ange entra chez elle, et dit : Je te salue, pleine de grâce ; le Seigneur est avec toi… » (Luc 1,26-28).
C’est lui qui rassure Joseph lorsqu’il envisage de répudier Marie : « Comme il y pensait, voici, un ange du Seigneur lui apparut en songe, et dit : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l'enfant qu'elle a conçu vient du Saint-Esprit ; (…) Joseph s'étant réveillé fit ce que l'ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme avec lui » (Matth. 1,20-24).
C’est lui qui est apparu aux bergers à Bethléem (Luc 2,8-12) et qui a été rejoint par une multitude : « Et soudain il se joignit à l'ange une multitude de l'armée céleste, louant Dieu et disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre, bienveillance parmi les hommes ! » (Luc 2, 13-14).
C’est encore lui qui intervient pour la protection de l’Enfant : « Lorsqu'ils furent partis, voici, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, et dit : Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu'à ce que je te parle ; car Hérode cherchera le petit enfant pour le faire périr. (…) Quand Hérode fut mort, voici, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, en Egypte, et dit : Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, et va dans le pays d'Israël, car ceux qui en voulaient à la vie du petit enfant sont morts » (Matth. 2,13-19).
L’annonce de la Résurrection
C’est encore l’Ange du Seigneur qui annonce la Résurrection aux femmes venues au sépulcre le matin de Pâques : « Et voici, il y eut un grand tremblement de terre ; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s'assit dessus. Son aspect était comme l'éclair, et son vêtement blanc comme la neige. Les gardes tremblèrent de peur, et devinrent comme morts. Mais l'ange prit la parole, et dit aux femmes : Pour vous, ne craignez pas ; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. Il n'est pas ici ; il est ressuscité, comme il l'avait dit. Venez, voyez le lieu où il était couché, et allez promptement dire à ses disciples qu'il est ressuscité des morts. Et voici, il vous précède en Galilée : c'est là que vous le verrez. Voici, je vous l'ai dit » (Matth. 28,2-7).
Les anges au jugement
Le Christ a annoncé que les anges viendraient avec Lui au Jugement dernier :
« Lorsque le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s'assiéra sur le trône de sa gloire » (Matth. 25,31).
Ils seront envoyés pour rassembler tous les peuples :
« Le Fils de l’homme enverra ses anges avec la trompette retentissante, et ils rassembleront ses élus des quatre vents, depuis une extrémité des cieux jusqu'à l'autre » (Matth. 24,31).
Ils seront chargés du tri entre les bonnes et les mauvaises œuvres, entre les justes et les pécheurs :
« L'ennemi qui a semé l’ivraie, c'est le diable ; la moisson, c'est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges » (Matth. 13,39).
« Car le Fils de l'homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses anges ; et alors il rendra à chacun selon ses œuvres » (Matth. 16,27).
« Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aura aussi honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père, avec les saints anges » (Marc 8,38).
« Il en sera ainsi à la fin du monde : les anges viendront séparer les méchants d'avec les justes » (Matth. 13,49).
D’après ce que nous avons déjà dit, il ressort logiquement que les anges sont supérieurs aux hommes, mais qu’en est-il avec le Christ ?
« Qu'est-ce que l'homme, pour que Tu te souviennes de lui, ou le fils de l'homme, pour que Tu prennes soin de lui ? Tu l'as abaissé pour un peu de temps au-dessous des anges, Tu l'as couronné de gloire et d'honneur, Tu as mis toutes choses sous ses pieds » (Hébr. 2,6-8). L’apôtre se réfère ici au Psaume 8, en le rapportant au Christ, et il continue : « Mais celui qui a été abaissé pour un peu de temps au-dessous des anges, Jésus, nous le voyons couronné de gloire et d'honneur à cause de la mort qu'il a soufferte pour tous » (Hébr. 2,9). « Après avoir accompli la purification des péchés, Il s’est assis à la droite de la majesté divine, dans les lieux très hauts, devenu d'autant supérieur aux anges qu'Il a hérité d'un nom plus excellent que le leur » (Hébr. 1,3-4 ; cf. aussi Eph. 1,21).
En tant que Dieu, le Christ est évidemment supérieur aux anges. Mais c’est en tant que Dieu et homme, inséparablement, qu’Il a acquis la victoire sur toutes les puissances adverses. A l’Ascension, les évangélistes notent simplement qu’après sa résurrection : « Le Seigneur fut enlevé au ciel, et Il s’assit à la droite de Dieu » (Marc 16,19 ; Luc 24,50 ; cf. aussi Act. 1,9). La sobriété des textes ne doit pas cacher le caractère prodigieux du mystère qui s’accomplit alors. Le Fils de Dieu, qui était descendu des cieux en tant que Dieu pour s’incarner, en s’abaissant de ce fait au-dessous des anges, y remonte, en traversant les cieux, revêtu de la nature humaine. Il élève notre nature humaine au-dessus des anges !
En fait, c’est dès son Incarnation que le Christ a rétabli la communication entre le ciel et la terre : « Jésus dit à Nathanaël : En vérité, en vérité, vous verrez désormais le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l'homme » (Jean 1,51). Le ciel, qui était fermé depuis le péché d’Adam, gardé par les chérubins (Gen. 3,24), s’ouvre à nouveau. Par son Incarnation, le Christ ouvre les cieux. En Christ, à la fois Dieu et Homme, le ciel et la terre sont unis. La terre communique de nouveau avec le ciel, ce qui est indiqué par les anges qui montent et descendent. C’est ce qui était déjà annoncé en figure dans le songe de Jacob : « Il eut un songe. Et voici, une échelle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel. Et voici, les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle » (Gen. 28,12).
Les anges sont à la fois au service de Dieu et au service des hommes, pour leur salut : « Et auquel des anges a-t-il jamais dit : Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied ? Ne sont-ils pas tous des esprits au service de Dieu, envoyés pour exercer un ministère en faveur de ceux qui doivent hériter du salut ? » (Hébr. 1,13-14).
Finalement, les hommes ont une dignité supérieure à celle des anges : bien que créés inférieurs, ils ont vocation à siéger avec le Christ au-dessus des anges : « Il nous a ressuscités ensemble, et nous a fait assoir ensemble dans les lieux célestes, en Jésus-Christ » (Eph. 2,6 ; cf. aussi Matth. 19,28). Car Dieu ne s’est pas fait ange : Il s’est fait homme ! « Car assurément ce n'est pas à des anges qu'Il vient en aide, mais c'est à la postérité d'Abraham » (Hébr. 2,16). Saint Paul va jusqu’à dire : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde ? (…) Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? » (1 Cor. 6,2-3).
Un grand spirituel chrétien, saint Macaire d’Egypte, écrivait au 4e siècle : « Les chrétiens savent que l'âme est plus précieuse que toutes les choses créées. Car seul l'homme est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gen. 1,26). Regarde le soleil, comme il est immense, et la terre, et tout ce qu'elle contient de précieux et de grand ! Néanmoins, l'homme est plus précieux que toutes les choses, parce que seul il a été l'objet de la bienveillance du Seigneur. Et pourtant les monstres marins, les montagnes et les animaux sauvages, quant à l'apparence extérieure, sont plus grands que l'homme. Prends donc conscience de ta dignité, vois combien tu es précieux. Car Dieu t'a placé au-dessus des anges, quand il est venu en personne sur la terre pour te secourir et te racheter. »Les Homélies spirituelles de saint Macaire (15,43). Traduction Placide Deseille. Spiritualité orientale n° 40. Abbaye de Bellefontaine 1984.
Les démons sont très présents dans les Evangiles. Ils ont un chef : le Diable (ce qui signifie diviseur), encore appelé Satan (tentateur, accusateur, adversaire, ennemi, menteur), ou Prince des ténèbres. Il apparait parfois sous la forme de serpent ou de dragon. Lorsque Jésus accuse les Pharisiens de faire les œuvres du Diable, Il précise : « Le Diable a été meurtrier dès le commencement, et n'est pas demeuré dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, car il est menteur et père du mensonge » (Jean 8,44).
Tout au long de sa vie publique, Jésus guérissait les malades et expulsait les esprits impurs : c’était le signe que le Royaume de Dieu était proche. Voici deux exemples parmi beaucoup d’autres :
« Il se trouva dans leur synagogue un homme qui avait un esprit impur, et qui s'écria : Qu'y a-t-il entre nous et toi, Jésus de Nazareth ? Tu es venu pour nous perdre. Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. Jésus le menaça, disant : Tais-toi, et sors de cet homme. Et l'esprit impur sortit de cet homme, en l'agitant avec violence, et en poussant un grand cri. Tous furent saisis de stupéfaction, de sorte qu'ils se demandaient les uns aux autres : Qu'est-ce que ceci ? Une nouvelle doctrine ! Il commande avec autorité même aux esprits impurs, et ils lui obéissent ! » (Marc 1,23-27).
« Le soir, après le coucher du soleil, on lui amena tous les malades et les démoniaques. Et toute la ville était rassemblée devant sa porte. Il guérit beaucoup de gens qui avaient diverses maladies ; il chassa aussi beaucoup de démons, et il ne permettait pas aux démons de parler, parce qu'ils le connaissaient » (Marc 1,32-34).
Mais au-delà de ces exorcismes, c’est toute la vie de Jésus qui est un combat contre le Diable. Dès le début de son ministère, Il va au désert pour y être tenté et en sortir victorieux (Matth. 4,1-11 et parall.). Après cette première défaite, le diable attend son heure. C’est pourquoi, lors d’un face à face au pays de Gadara, les démons s’inquiètent : « Pourquoi viens-Tu nous tourmenter avant l’heure ? » (Matth. 8,29). L’heure décisive, l’heure de la victoire définitive sera l’heure de la Croix, où aura lieu le jugement de ce monde, où le Prince de ce monde sera jeté dehors (Jean 12,31), où son pouvoir sera anéanti : « Il a dépouillé les dominations et les autorités, et les a livrées publiquement en spectacle, en triomphant d'elles par la croix » (Col. 2,15).
Dès les origines, la Bible met en scène celui qui va devenir le Prince de ce monde. En apparaissant sous la forme d’un serpent, c’est en effet le Diable, par sa tromperie, qui a fait chuter Adam et Eve, avec toutes les conséquences jusqu’à nous : « Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? La femme répondit au serpent : Nous mangeons du fruit des arbres du jardin. Mais quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez pas et vous n'y toucherez pas, de peur que vous ne mouriez. Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez pas ; mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » (Gen. 3,1-5).
C’est ainsi que la mort est entrée dans le monde : « Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, Il en a fait une image de sa propre nature ; c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sag. 2,24). Ce que confirme saint Paul : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par la péché la mort, et ainsi la mort s’est étendue à tous les hommes » (Rom. 5,12).
C’est ainsi que le diable est devenu le Prince de ce monde, comme le nomme plusieurs fois Jésus dans l’Evangile de Jean.
Mais, dès l’origine, Dieu a prévu le combat et la victoire finale sur le Diable par la postérité de la femme, c’est-à-dire par le Christ : « Le Seigneur Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t'écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon » (Gen. 3,14-15).
Dans la suite de l’Ancien Testament, les mentions explicites du Diable ou de ses anges sont peu nombreuses, mais il en existe au moins deux qui sont célèbres. Dans l’une, nous voyons Satan s’attaquer au juste Job, avec la permission de Dieu, pourvu qu’il épargne sa vie (Job : Chap. 1 et 2). Dans le livre de Tobie, le démon Asmodée avait fait mourir les sept maris qui avaient été donnés à Sara, avant même qu’ils aient eu le temps de s’unir (Tob. 3,8). Mais avec l’aide de l’Archange Raphaël, Tobie a réussi à faire fuir Asmodée au moyen d’une odeur de poisson et à épouser Sara (Tob. Chap. 6 à 8).
Dans la tradition chrétienne, les démons sont des anges déchus, dont la nature est identique à celle des anges et qui furent, au même titre qu’eux, créés par Dieu. Selon Denis l’Aréopagite : « La race des démons n’est pas mauvaise en tant qu’elle se conforme à sa nature, mais en tant qu’elle ne s’y conforme pas. »Les noms divins (IV,23), dans > Œuvres complètes du Pseudo-Denys l’Aréopagite, op. cit.
Voici ce que disait à ses disciples un Père particulièrement expérimenté, saint Antoine le Grand, père du monachisme en Egypte au 4e siècle, dans un discours rapporté par saint Athanase d’AlexandrieSaint Athanase : Vie et conduite de notre Père saint Antoine. Spiritualité orientale n° 28. :
« Nous savons que les démons n'ont pas été créés démons. Dieu n'a rien fait de mauvais. Eux aussi furent créés bons mais, déchus de la sagesse céleste, précipités sur la terre, ils égarèrent les gentils par des fictions. Ils nous portent envie à nous, les chrétiens, et remuent tout pour nous fermer l'accès du ciel pour que nous ne montions pas là d'où ils sont déchus. C'est pourquoi il faut beaucoup de prières et d'ascèse pour pouvoir, par le charisme du discernement des esprits, connaître ce qui les concerne. (…). Nombreuses sont, en effet, leurs fourberies et leurs manœuvres insidieuses. Le bienheureux apôtre et ses coopérateurs le savaient bien, qui disaient : Nous n'ignorons pas ses desseins. » Saint Antoine cite ici une épitre de saint Paul : « Or, à qui vous pardonnez, je pardonne aussi ; et ce que j'ai pardonné, si j'ai pardonné quelque chose, c'est à cause de vous, en présence de Christ, afin de ne pas laisser à Satan l'avantage sur nous, car nous n'ignorons pas ses desseins » (2 Cor. 2, 10-11).
Pourquoi ces anges sont-ils devenus des démons et furent-ils chassés du ciel ? Une réponse, d’origine évangélique, indique que certains anges, sous la conduite de leur chef, se sont révoltés contre Dieu lors de la création de l’homme et ont voulu faire obstacle au plan divin. Ils furent alors précipités dans les abimes : « Car, si Dieu n'a pas épargné les anges qui ont péché, mais s'il les a précipités dans les abîmes de ténèbres et les réserve pour le jugement… » (2 Pi. 2,4). « (Le Seigneur) a réservé pour le jugement du grand jour, enchaînés éternellement par les ténèbres, les anges qui n'ont pas gardé leur dignité, mais qui ont abandonné leur propre demeure » (Jude 6).
Dans la parabole du jugement dernier, le roi dit aux méchants qui sont à gauche : « Retirez-vous de moi, maudits, allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges » (Matth. 25,41). Et la défaite du diable lors d’un grand combat dans le ciel est annoncée dans l’Apocalypse : « Et il y eut une guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent contre le dragon. Et le dragon et ses anges combattirent, mais ils ne furent pas les plus forts, et leur place ne fut plus trouvée dans le ciel. Et il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, appelé le diable et Satan, celui qui séduit toute la terre, il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui » (Ap. 12,7-9).
La chute des anges a précédé la chute des hommes (puisque Satan a fait chuter Adam, qui a entraîné toute la création dans sa chute, cf. Gen. Chap. 3 ; Rom. 8,19-23). Elle est peu explicite dans les livres canoniques de la Bible, mais fait l’objet d’abondants développements dans les apocryphes. C’est ainsi que, dans le livre d’Hénoch, le chef des anges rebelles s’appelait d’abord Lucifer (Porteur de lumière en latin). « Et cela n'est pas étonnant, puisque Satan lui-même se déguise en ange de lumière » (2 Cor. 11,14).
Deux textes vétérotestamentaires, bien qu’ils se rapportent à des épisodes de l’histoire de royaumes terrestres, sont couramment interprétés comme décrivant de manière allégorique la chute de Lucifer, tombé à cause de son orgueil. Cette interprétation est justifiée par l’emploi des termes explicites utilisés. L’un de ces textes est une prophétie d’Ezéchiel contre le roi de Tyr : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : tu mettais le sceau à la perfection, tu étais plein de sagesse, parfait en beauté. Tu étais en Eden, le jardin de Dieu ; (…) Tu étais un chérubin protecteur, aux ailes déployées. (…) Par la grandeur de ton commerce tu as été rempli de violence, et tu as péché ; je te précipite de la montagne de Dieu, et je te fais disparaître, chérubin protecteur. (…) Tu es réduit au néant, tu ne seras plus à jamais ! » (Ez. 28,11-19). L’autre est une prophétie d’Isaïe contre le roi de Babylone : « Tu prononceras ce chant sur le roi de Babylone : (…) Te voilà tombé du ciel, astre brillant, fils de l'aurore ! Tu es abattu à terre, toi, le vainqueur des nations ! Tu disais en ton cœur : je monterai au ciel, j'élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu ; (…) je serai semblable au Très-Haut. Mais tu as été précipité dans le séjour des morts, dans les profondeurs de la fosse. (…) » (Is. 14,4-20).
Aujourd’hui, on ne croit plus aux démons : la psychologie moderne les a éliminés. Mais la Bible en parle comme d’une réalité : Jésus en parle constamment, les apôtres également. Les épitres de Paul, en particulier, sont un enseignement précieux pour notre vie spirituelle concrète : « Fortifiez-vous dans le Seigneur, et par sa force toute-puissante. Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir tenir ferme contre les ruses du diable. Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes » (Eph. 6,10-12).
En réalité, le chrétien n’a pas d’autres ennemis à combattre que les démons. C’est ainsi qu’il faut comprendre les nombreux psaumes où il est question des ennemis.
Les Pères, dans leur enseignement sur la prière, en parlent également beaucoup. Il est bon d’en tenir compte dans notre vie spirituelle, notamment en ce qui concerne le mécanisme de la tentation et du péché.
Ignorer le jeu des démons, c’est se priver d’un moyen de discernement pour se voir soi-même. Car ce qui nous anime, ce que nous prenons pour nous-mêmes (notre personnalité, nos habitudes, nos pensées, nos opinions, nos désirs, nos qualités, nos défauts…) n’est en réalité que la cohabitation de beaucoup de choses hétérogènes. Nos pensées, par exemple, d’où viennent-elles, comment naissent-elles en nous et vers quoi nous orientent-elles ? Nous nous identifions à elles, mais elles viennent bien souvent d’ailleurs. Nous croyons agir librement, mais nous sommes, à notre insu, le jeu de forces qui nous habitent, par rapport auxquelles nous avons à nous déterminer et contre lesquelles nous avons éventuellement à lutter. C’est notre adhésion qui fait le péché. Comme dit saint Pierre : « Chacun est esclave de ce qui a triomphé de lui » (2 Pi. 2,19).
Il existe donc des esprits mauvais, qui sont plus que des forces impersonnelles, qu’on ne voit pas, parce qu’ils sont incorporels, mais qui sont agissants, qui ont une volonté et obéissent à un objectif : leur dessein est de nous détourner de Dieu. Dans la parabole du semeur, Jésus nous dit que Satan vient enlever la parole semée dans le cœur, pour que ceux qui l’ont entendue ne croient pas et ne soient pas sauvés (Luc 8,12).
Ces esprits, qui sont distincts de nous, ont la capacité de faire leur demeure en nous pour nous asservir : « Lorsque l'esprit impur est sorti d'un homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos, et il n'en trouve pas. Alors il dit : Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti ; et, quand il arrive, il la trouve vide, balayée et ornée. Il s'en va, et il prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui ; ils entrent dans la maison, s'y établissent, et la dernière condition de cet homme est pire que la première » (Matth. 12,43-45).
La pertinence de cet avertissement du Seigneur se vérifie aisément par l’expérience : si on décide de renoncer à une mauvaise habitude, sans la remplacer par une habitude meilleure, elle risque de revenir avec encore plus de force. Lorsqu’on se débarrasse d’un esprit impur, il ne faut pas laisser la place vide, mais la remplir par une autre présence : celle de l’Esprit-Saint, celle du Christ.
Prendre l’action des démons en considération permet de prendre du recul par rapport à eux, de rendre leur action objective, de les resituer à l’extérieur et d’exercer une vigilance, afin de ne pas faire leur jeu et d’être capable de les repousser.
Pour nous détourner de Dieu, ils agissent de diverses manières : par les convoitises, en nous persuadant que ce que nous désirons est bon pour nous, que nous en avons besoin ; par la vanité, l’autosatisfaction, la rancune, l’amertume, et toutes les formes d’orgueil. Voici par exemple ce que dit saint Jean Climaque dans son traité l’Echelle sainteL’échelle sainte (26,6). Traduction Placide Deseille. Spiritualité orientale n° 24. : « Dans toutes les actions que nous faisons, les démons nous creusent trois précipices : ils s'efforcent d'abord de nous empêcher de faire le bien ; en second lieu, s’ils échouent, ils essayent de faire que le bien ne soit pas selon Dieu. Mais quand ils ont échoué même en cela, ces larrons se présentent doucement à notre âme et nous félicitent de vivre en tout selon Dieu. » De manière ultime, c’est donc par l’orgueil qu’ils nous tiennent.
La tentation du Seigneur dans le désert (Matth. 4,1-11 et parall.) nous enseigne aussi sur les procédés utilisés par le diable : il commence par proposer une action qui a l’apparence d’un bien : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Ces pains permettraient en effet à Jésus de se nourrir, Lui qui a faim après quarante jours de jeûne, et de nourrir les pauvres qui ont faim. Ensuite, en citant les Ecritures (Ps. 90), il propose une action qui semble conforme à la volonté de Dieu : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet ; et ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte contre une pierre. » L’art du mensonge, qu’il maîtrise parfaitement, consiste ici à partir d’une vérité ou d’un commandement divin et à les détourner. C’est par ce type de mensonge qu’il avait réussi à tromper Adam et Eve (Gen. 3,-6).
Le diable intervient également en accusateur, comme nous le voyons dans le livre de Zacharie : « Il me fit voir Josué, le souverain sacrificateur, debout devant l'ange du Seigneur, et Satan qui se tenait à sa droite pour l'accuser » (Zac. 3,1). De manière courante, avant le péché, pour nous amener à y consentir, le diable relativise la faute : « ce n’est pas grave », et il la présente de manière avantageuse : « c’est bon pour toi ». Mais après, lorsque le péché est consommé, il se présente en accusateur et culpabilisateur : « Vois le mal que tu as fait, vois combien le poids de tes péchés t'accable, c'est pourquoi tu ne peux être sauvé. » Mais, écrit saint Macaire : « Il agit ainsi pour te mener au désespoir, et pour te faire croire que ta conversion ne saurait être acceptée par Dieu. Mais tu n'as qu'à lui répondre : J'ai le témoignage écrit du Seigneur : Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse, qu'il se détourne de la voie du mal et qu'il vive (Ezéch. 33,11). Car le Seigneur est descendu pour sauver les pécheurs (1 Tim. 1,15), ressusciter les morts, rendre à la vie les défunts, illuminer ceux qui sont dans les ténèbres. »Les Homélies spirituelles de saint Macaire (11,15), op. cit.
Il faut savoir que le pouvoir des démons est limité, surtout depuis la mort et la Résurrection du Christ. Les démons n’agissent que par permission divine. C’est par permission divine que Satan a pu éprouver Job, sans réussir à lui faire maudire Dieu : « Le Seigneur dit à Satan : Voici, tout ce qui lui appartient, Je te le livre ; seulement, ne porte pas la main sur lui. Et Satan se retira de devant la face du Seigneur. (…) Le Seigneur dit à Satan : As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n'y a personne comme lui sur la terre ; c'est un homme intègre et droit, craignant Dieu, et se détournant du mal. Il demeure ferme dans son intégrité, et tu m'excites à le perdre sans motif. Et Satan répondit au Seigneur : Peau pour peau ! tout ce que possède un homme, il le donne pour sa vie. Mais étends ta main, touche à ses os et à sa chair, et je suis sûr qu'il te maudit en face. Le Seigneur dit à Satan : Voici, je te le livre : seulement, épargne sa vie » (Job 1,12 ; 2,3-6).
Les démons n'ont pas même de pouvoir sur des porcs. Lorsque Jésus les fait sortir du démoniaque de Gadara, ils le supplient : « Permets que nous passions dans les porcs » (Matth. 8,31). Cette demande, que Jésus leur accorde, va d’ailleurs finalement causer leur perte, puisque les porcs vont se jeter dans la mer.
Ils ne possèdent pas d'attributs tels que l'omniscience, l'omnipotence ou l'omniprésence qui sont propres à Dieu seul. Ils ne savent pas tout, ne peuvent pas tout, ils ne peuvent pas être à plusieurs endroits à la fois. A ce sujet, voici un passage (qui ne manque pas d’humour) du discours de saint Antoine sur la vanité des prédictions des démonsSaint Athanase : Vie et conduite de notre Père saint Antoine. Spiritualité orientale n° 28. :
« Si donc ils font semblant de prédire l'avenir, que personne n'en fasse cas. Souvent, en effet, ils annoncent plusieurs jours à l'avance l'arrivée de frères, et ceux-ci viennent à point nommé. Ils ne font pas cela par égard pour ceux qui les écoutent, mais pour les persuader de se fier à eux, et, les ayant alors sous la main, ils les perdront. Il ne faut donc pas faire cas d'eux, mais les chasser, même quand ils prédisent des choses futures, car nous n'avons pas besoin d'eux. Quoi d'étonnant qu'ayant des corps plus légers que les hommes, et les voyant se mettre en route, ils les précèdent à la course et les annoncent, comme un cavalier annonce en le précédant celui qui chemine à pied ? Il n'y a pas lieu de les admirer en cela. Ils ne connaissent pas ce qui n'existe pas encore. Il n'y a que Dieu qui connaisse toutes choses avant qu'elles soient (Daniel 13,42). Eux, ils annoncent ce qu'ils voient, courant devant comme des voleurs. (…) Mais souvent, les voyageurs étant revenus sur leurs pas, il se trouve que les démons se sont trompés.
De même aussi sur les eaux du fleuve (il s’agit du Nil), ils bavardent à tort et à travers. Ayant constaté des pluies abondantes dans les régions de l'Éthiopie, et voyant que c'est la cause de la crue du fleuve, avant que l'eau arrive en Égypte, ils courent devant et le disent. Des hommes le diraient aussi bien, s'ils pouvaient courir comme eux. De même que le veilleur de David (2 Rois 18,24), monté sur un lieu élevé, voit venir plus facilement un homme que celui qui se tient en bas, de même que le coureur annonce à d'autres, non ce qui n'existe pas, mais les choses déjà en voie et en train de se faire, ainsi eux entreprennent d'annoncer et de signaler aux autres des choses futures, mais c'est à seule fin de les tromper. Si donc la Providence, entre-temps, dispose quelque chose au sujet des eaux et des voyageurs, comme elle en a le pouvoir, les démons ont menti, et ceux qui les ont crus ont été trompés. (…)
Aussi bien, lorsqu'ils disent la vérité, qu'on ne les admire pas tellement. Les médecins aussi, ayant l'expérience des malades, ayant vu la même maladie chez plusieurs, prédisent souvent par conjecture en vertu de l'habitude. Et les pilotes et les agriculteurs, en vertu de l'habitude, considérant l'état de la température, prédisent la tempête ou le beau temps. On ne dira pas pour autant qu'ils prédisent par inspiration divine, mais par expérience et habitude. Lors donc que les démons parlent par conjecture, qu'on ne les admire pas, qu'on n'y fasse pas attention. Quelle utilité y a-t-il d'apprendre d'eux les choses futures quelques jours avant qu'elles aient lieu ? Quel besoin de les savoir, même s'ils peuvent vraiment les connaître ? Ce n'est en rien un instrument de vertu ni de bonnes mœurs, que cette connaissance. Nul d'entre nous n'est jugé pour ne pas savoir ces choses, et nul ne devient bienheureux pour les avoir apprises et les savoir. Mais chacun est jugé sur ces points : a-t-il conservé la foi, et fidèlement gardé les commandements ?
Il ne faut donc pas faire grand cas de ces choses, ni s'exercer et peiner pour cela, mais pour plaire à Dieu par une vie bonne. Il ne faut pas prier pour prévoir l'avenir, ni désirer cela comme récompense de l'ascèse, mais pour que le Seigneur nous aide à vaincre le diable. (…)
C'est donc Dieu seul qu'il faut craindre : eux, il faut les mépriser et ne les craindre en rien. Plus ils font de ces choses, plus nous devons pratiquer notre ascèse contre eux. C'est une arme puissante contre eux que la vie droite et la foi en Dieu. »
Remarquons que Dieu sait aussi utiliser les démons pour notre bien : « Et pour que je ne sois pas enflé d'orgueil, à cause de l'excellence de ces révélations, il m'a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter et m'empêcher de m'enorgueillir » (2 Cor. 12,7).
Saint Paul, dans la suite du passage déjà cité de l’épitre aux Ephésiens, décrit les armes à notre disposition : « C'est pourquoi, prenez toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir résister dans le mauvais jour, et tenir ferme après avoir tout surmonté. Tenez donc ferme : ayez à vos reins la vérité pour ceinture ; revêtez la cuirasse de la justice ; mettez pour chaussure à vos pieds le zèle que donne l'Evangile de paix ; prenez par-dessus tout cela le bouclier de la foi, avec lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du malin ; prenez aussi le casque du salut, et l'épée de l'Esprit, qui est la parole de Dieu. Faites en tout temps par l'Esprit toutes sortes de prières et de supplications. Veillez à cela avec une entière persévérance, et priez pour tous les saints » (Eph. 6,13-18).
Par ailleurs, Dieu ne nous a pas laissés sans protections. S’il y a des esprits qui veulent nous nuire (en nous inclinant au mal), il y en a aussi qui nous protègent : « Les malheurs ne pourront t'atteindre et le fléau ne s'approchera pas de ta tente. Car à ton sujet le Très-Haut a ordonné à ses anges de te garder en toutes tes voies. Sur leurs mains ils te porteront, pour que ton pied ne heurte la pierre » (Ps. 90,10-12, cité par le diable dans la tentation de Jésus dans le désert, Matth. 4,6).
Nous avons tous connu des circonstances où, face à un danger, nous avons eu le sentiment d’être protégés. Un ange gardien veille sur chacun de nous : « Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits ; car je vous dis que leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est dans les cieux » (Matth. 18,10).
La prière eucharistique de la Liturgie de saint Basile est très explicite : « Tu as parlé par la bouche de tes serviteurs les prophètes, pour annoncer le salut à venir ; Tu nous as donné la Loi pour notre secours, Tu as établi les anges pour notre garde ; et lorsque la plénitude des temps fut venue, Tu nous as parlé par ton Fils Lui-même, par qui Tu avais fait les siècles. »
De manière ultime, c’est bien le Christ qui nous sauve.