METZ
PAROISSE ORTHODOXE DES TROIS SAINTS HIERARQUES
Basile-le-Grand, Grégoire-le-Théologien et Jean-Chrysostome
православная церковь русской традиции
Le thème que je propose de développer est lié au temps liturgique dans lequel nous sommes en ce moment, entre Pâques et la Pentecôte, avec aujourd'hui la fête de l'Ascension. En quoi consiste pour nous la résurrection ? C'est une question que l'on entend parfois : le Christ est ressuscité, c'est une chose, mais nous, comment participons-nous à cette résurrection ? Est-elle seulement pour la vie future ou déjà pour la vie présente ? Quel est le lien entre la vie présente et la vie future ? Quel est le lien avec le don du Saint-Esprit ?
Saint Paul, par exemple, parle des arrhes de l'Esprit (2 Cor. 5,5), de la participation au Saint-Esprit dans la vie présente, qui est comme un gage de la participation au Royaume céleste. Il nous promet que nous revêtirons notre domicile céleste, « si du moins nous sommes trouvés vêtus et non pas nus » (2 Cor. 5, 3). Pour éclairer ces points un peu difficiles, je vais m’appuyer sur les Homélies spirituelles attribuées à saint MacaireLes Homélies spirituelles de saint Macaire. Traduction Placide Deseille. Spiritualité orientale n° 40. Abbaye de Bellefontaine 1984.. Saint Macaire est l’un des fondateurs du monachisme en Egypte, au IVe siècle. En fait, on n’est pas tout-à-fait sûr qu’il soit personnellement l’auteur de ces Homélies, mais en tout cas, elles sont bien dans l'esprit des pères qui ont vécu à cette époque là, dans les déserts d’Egypte, de Palestine ou de Syrie.
Pour introduire le sujet, je vais commencer par lire un extrait de la deuxième épître de saint Paul aux Corinthiens, auquel saint Macaire va se référer :
« Nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l'Esprit… Car Dieu, qui a dit : "La lumière brillera du sein des ténèbres !", a fait briller la lumière dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu qui rayonne sur la face du Christ. Nous portons ce trésor dans des vases d’argile, afin que cette grande puissance soit attribuée à Dieu, et non pas à nous. (…) C'est pourquoi nous ne perdons pas courage. Et lors même que notre homme extérieur se détruit, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car nos légères afflictions du moment présent produisent pour nous, au delà de toute mesure, un poids éternel de gloire, parce que nous regardons, non point aux choses visibles, mais à celles qui sont invisibles ; car les choses visibles sont passagères, et les invisibles sont éternelles. Nous savons en effet que, si cette tente où nous habitons sur la terre est détruite - cette tente, c’est notre corps -, nous avons dans le ciel un édifice qui est l'ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n'a pas été faite de main d'homme. Aussi nous gémissons dans cette tente, désirant revêtir notre domicile céleste, si du moins nous sommes trouvés vêtus et non pas nus. Car tandis que nous sommes dans cette tente, nous gémissons, accablés, parce que nous voulons, non pas nous dépouiller, mais nous revêtir, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie. Et celui qui nous a formés pour cela, c'est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l'Esprit. » (2 Cor. 3,18 ; 4,6-7&16-18 ; 5,1-5)
Et un peu dans le même sens, voici un extrait de l’épître aux Romains :
« Pour vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l'esprit, si du moins l'Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. Et si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l'esprit est vie à cause de la justice. Et si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » (Rom. 8,9-11)
Je ne sais pas si ces paroles de saint Paul sont claires pour vous. Elles ne sont probablement pas claires du premier coup. Mais avec l'habitude, si on y a déjà réfléchi, si on les a méditées un peu, elles finissent par s'éclairer. C'est pour cela qu’il est important de lire les lectures qui sont indiquées pour chaque jour dans le calendrier liturgique. La première fois, certes, on ne comprend pas tout. Mais à force de les relire chaque année, elles nous deviennent plus familières. Et pour les passages plus difficiles, la lecture des Pères est une aide très précieuse.
Ainsi, pour ce qui concerne les questions autour de la réception de l’Esprit-Saint, de la résurrection des corps, de la vie éternelle, et comment tout cela est lié, en relisant récemment les Homélies de saint Macaire, je les ai trouvées particulièrement édifiantes. On y trouve en fait toute la doctrine chrétienne, toute la doctrine de l’Eglise. Une doctrine qui, bien entendu, se trouve déjà implicitement dans les Evangiles et dans les écrits des Apôtres, notamment dans les passages que je viens de lire, et que les Pères ont su expliciter.
Pour bien poser les bases, je vais commencer par le but de la vie humaine. Lorsque Dieu a créé l'homme, Il ne l'a pas créé autosuffisant. Contrairement à ce qu'on peut prétendre dans notre civilisation actuelle qui se veut humaniste, l'homme ne se suffit pas à lui-même. Voici ce que dit saint Macaire :
« En créant le corps, Dieu ne lui a pas donné d'avoir par sa propre nature, par lui-même, la vie, la nourriture, la boisson, le vêtement et la chaussure, mais lui a donné au contraire de recevoir de l'extérieur tout ce dont il a besoin pour vivre, puisqu'Il a créé le corps nu et incapable de vivre sans ce qui lui est extérieur, c'est-à-dire sans aliments, sans boisson et sans vêtements, si bien que, s'il veut s'enclore dans sa propre nature et ne rien recevoir de l'extérieur, il se corrompt et périt. De même, Dieu a disposé par économie et établi dans sa bienveillance que l'âme, qui ne possède pas la lumière divine, mais est créée à l'image de Dieu, ait la vie éternelle non par sa propre nature, mais reçoive de sa divinité, de son Esprit, de sa lumière, une nourriture et un breuvage spirituels et des vêtements célestes, lesquels sont en vérité la vie de l'âme. » (Homélie 1,10)
En effet, comme on peut le constater, le corps n'est pas autosuffisant : pour se maintenir en vie, il a besoin de se nourrir de toutes ces choses qu'il prend dans le monde, qui viennent de l'extérieur. Eh bien, de la même manière, notre âme reçoit la vie éternelle, non pas de sa propre nature, mais de Dieu, elle a besoin d’être vivifiée par l'Esprit-Saint.
« De même donc que le corps ne possède pas la vie de lui-même, mais la reçoit de l'extérieur, c'est-à-dire de la terre, et sans ce qui est extérieur ne pourrait vivre, de même en est-il pour l'âme. Si elle n'est pas régénérée dès maintenant en vue de cette terre des vivants - c’est-à-dire du Royaume à venir -, si elle ne reçoit pas de cette terre une nourriture spirituelle, et un apport qui la fasse progresser dans le Seigneur, si elle ne reçoit pas de la divinité les vêtements ineffables de la beauté céleste, elle ne peut vivre dans la jouissance et le repos incorruptibles. Car la nature divine a aussi son "pain de vie", à savoir Celui qui a dit "Je suis le pain de vie" (Jean 6,35). Elle a une "eau vive" (cf. Jean 4,10), un "vin qui réjouit le cœur de l'homme" (cf. Ps. 103,15) et une "huile d'allégresse" (cf. Ps. 44,8) ; elle a une nourriture variée qui lui vient de l'Esprit, et des tuniques célestes et lumineuses qui lui sont données par Dieu. C'est en cela que consiste la vie éternelle de l'âme. » (Homélie 1,11)
Voilà, l'âme a besoin de cette nourriture spirituelle. Et c'est en cela que consiste la vie éternelle de l'âme. Il est dit classiquement que le corps est mortel et que l'âme est immortelle. Mais en fait, l'âme n'a pas l'immortalité par elle-même : elle n’est immortelle que par la vie en communion avec l'Esprit-Saint.
« Malheur au corps qui prétendrait s'enfermer dans sa propre nature : il se corromprait et mourrait. Et malheur à l'âme qui veut aussi s'enclore dans sa propre nature et ne se confier qu'à ses œuvres, et qui ne participe pas à l'Esprit divin : elle meurt, sans avoir été jugée digne de partager la vie éternelle de la divinité. » (Homélie 1,11)
Et en fait, c'est cela le péché, c'est le péché d'Adam, qui s'est coupé de Dieu, et qui s'est enfermé dans sa propre nature.
Voilà donc, en préambule, cette donnée essentielle : dès l'origine, notre nature humaine n'est pas autosuffisante, ni en ce qui concerne le corps, ni en ce qui concerne l'âme. L'homme ne peut s'accomplir qu’en Dieu. C'est ce qu’affirmait saint Séraphin de Sarov, au XIXe siècle, en disant que le but de la vie chrétienne est l'acquisition du Saint-Esprit. Et cela fait vraiment partie de la foi chrétienne. Déjà au IIe siècle, comme nous l’avons vu dans une précédente catéchèse, saint Irénée disait que l'homme est incomplet sans le Saint-Esprit, que l'homme n'est pas vraiment l'homme s’il est dépourvu du Saint-Esprit. L'homme ne s'accomplit qu'en Dieu, mais Dieu ne s'impose pas : c'est notre responsabilité de devenir la demeure de Dieu.
Nous venons de voir la condition de l’homme à l'origine. Mais ensuite il y a une complication. La complication, c'est le péché. Car par le péché, l'homme est devenu captif du Prince pervers, c’est-à-dire de Satan, le Tentateur, celui qui a fait chuter Adam et Eve, entraînant dans leur chute toute l’humanité, et même toute la création. Voilà ce que dit saint Macaire à ce sujet :
« Le royaume des ténèbres, le Prince pervers, a dès le commencement réduit l'homme en captivité ; il a enveloppé et revêtu son âme de la puissance des ténèbres. Comme on fait d'un homme un roi, comme on le couvre de vêtements royaux, de telle sorte que de la tête aux pieds il est revêtu d'ornements royaux, ainsi le Prince pervers a-t-il revêtu du péché l'âme et toute sa substance, il l'a souillée tout entière et l'a réduite tout entière en servitude dans son royaume. Il n'a laissé en liberté aucun de ses membres : ni ses pensées, ni son intellect, ni son corps ; mais il l'a couverte entièrement de la pourpre des ténèbres. » (Homélie 2,1)
Remarquons que saint Macaire parle ici du péché en termes de vêtement. Il fait de même pour l’acquisition du Saint-Esprit. Une autre image, celle de la demeure, ou de l’habitation, est peut-être plus habituelle. Ainsi, dans les épîtres de saint Paul : « Vous êtes le temple du Saint-Esprit…, votre corps est le temple du Saint-Esprit…, le Saint-Esprit habite en vous » (cf. Rom. 8,11 ; 1 Cor. 3,16 ; 6,19…), et dans la prière au Saint-Esprit nous lui demandons : « Viens et fais ta demeure en nous ». Donc nous savons que Dieu vient habiter en nous par le Saint-Esprit, où encore que le Christ vit en nous : « Si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » (Gal. 2,20). Mais on trouve aussi des passages des Écritures où il est dit que le Saint-Esprit ou que le Christ est notre vêtement. Par exemple : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ » (Rom. 13,14), ou encore : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Gal. 3,27). Ces deux manières de voir sont complémentaires.
Ici donc, saint Macaire explique en quoi consiste le drame de la chute et quelles sont les conséquences. Suite à la transgression et à la rupture de communion avec Dieu, notre nature est blessée. Au lieu d'être habitée par Dieu, revêtue du Saint-Esprit, conformément à sa vocation, comme Dieu l'avait prévu dans son dessein éternel, notre âme s'est revêtue d'autre chose, elle est devenue la demeure du péché, l'hôte des passions, elle s’est revêtue de ténèbres. Et cela est arrivé par une volonté extérieure, une volonté maligne, la volonté du Prince pervers.
C'est pourquoi l'apôtre Paul, utilisant là aussi l'image du vêtement, nous exhorte à « nous dépouiller du vieil homme qui se corrompt par les convoitises trompeuses…, et à revêtir l'homme nouveau, créé selon Dieu » (Éph. 4,22-24). Par le vieil homme, il entend l'homme tout entier, ayant des yeux en plus des yeux…, Car Dieu, à l’origine, lui a donné des yeux pour voir les réalités spirituelles, mais il les utilise pour le mal. Écoutez comment saint Macaire exprime cela :
« Quand l'Apôtre dit : "Dépouillez le vieil homme", il entend par là un homme tout entier, ayant des yeux en plus de nos yeux, une tête en plus de notre tête, des oreilles en plus de nos oreilles, des mains en plus de nos mains, des pieds en plus de nos pieds. Car c'est l'homme tout entier, âme et corps, que le Malin a souillé et renversé ; et il a revêtu l'homme d'un "vieil homme" souillé, impur, ennemi de Dieu et qui ne se soumet pas à la loi de Dieu (cf. Rom. 8,7), le péché même, de sorte que l'homme ne voit plus comme il veut, mais voit et entend de façon perverse, que ses pieds sont empressés à faire le mal (cf. Prov. 6,18), que ses mains commettent l'iniquité et que son cœur a de mauvais desseins. Prions donc Dieu, nous aussi, pour qu'Il nous dépouille du vieil homme, car seul Il peut nous enlever notre iniquité. En effet, ceux qui nous ont réduits en captivité sont plus forts que nous et nous tiennent prisonniers dans leur royaume. Mais Dieu Lui-même nous a promis de nous libérer de cette servitude mauvaise. » (Homélie 2,2)
Si vous n'êtes pas encore convaincus de la condition déchue qui est la nôtre, et de la servitude qui en découle, je pense qu’il y a une chose dont vous avez tous plus ou moins l'expérience, c'est l'agitation des pensées : une pensée en chasse une autre dans notre tête, puis une autre, puis une autre… Et c'est un esclavage. A l’origine, l'agitation des pensées n'était pas une chose naturelle : elle s'est imposée à notre nature par le fait du péché. Pour en parler de manière concrète, saint Macaire prend l'image du crible, se référant à une parole du Seigneur : « Satan vous a réclamés pour vous secouer dans le crible comme le froment, mais j'ai prié mon Père pour que votre foi ne défaille pas » (Luc 22, 31-32). L'image est très expressive : de même qu’on secoue le blé ou le froment dans le crible pour le séparer de la paille, de la même manière, Satan nous secoue par l’agitation des pensées. Écoutons ce que dit saint Macaire :
« Les habitants de la terre et les enfants de ce siècle ressemblent à un froment jeté dans le crible de cette terre ; ils sont secoués comme dans un crible par les pensées toujours en mouvement de ce monde, et Satan agite les âmes par l'agitation incessante des choses terrestres et la complexité des pensées matérielles, et il secoue dans le crible des choses terrestres tout le genre humain, depuis la chute d'Adam, lequel transgressa le précepte et passa sous la domination du prince du mal. Celui-ci a reçu pouvoir sur lui, et désormais il secoue et entrechoque dans le crible de la terre, par des pensées incessantes, trompeuses et tumultueuses, tous les fils de ce siècle. » (Homélie 5,1)
« De même, en effet, que le froment est secoué dans le crible par celui qui fait le criblage, et y est agité et retourné sans arrêt, ainsi le prince du mal s'empare-t-il de tous les hommes au moyen des choses terrestres et, grâce à elles, les agite, les trouble et les secoue par des pensées vaines, des convoitises honteuses et des liens terrestres et mondains ; ainsi, sans cesse, il réduit en captivité, jette dans le trouble et prend au piège toute la race pécheresse d'Adam, comme le Seigneur l'avait annoncé aux apôtres en leur prédisant l'assaut futur du Malin contre eux : Satan vous a réclamés pour vous secouer dans le crible comme le froment, mais j'ai prié mon Père pour que votre foi ne défaille pas. (Luc 22,31-32) » (Homélie 5,2)
Lorsque vous relirez ce verset, vous aurez maintenant devant vous l’image des pensées s’agitant dans votre tête.
Le chrétien doit donc veiller sur ses pensées afin qu’elles ne s’égarent pas mais que, dans la communion au Saint-Esprit, elles restent tournées vers Dieu :
« Voici en quoi les vrais chrétiens se distinguent de tout le genre humain et quelle est la grande différence qui les en sépare, comme nous l'avons dit : ils ont toujours l'intellect et l'intelligence appliqués à des pensées célestes, et ils contemplent les biens éternels, grâce à la communion et à la participation à l’Esprit-Saint. Il leur a été accordé de "naître d'en-haut" (cf. Jean 3,3), de Dieu, et de "devenir enfants de Dieu" (cf. Jean 1,12) en vérité et avec puissance ; après beaucoup de luttes, de peines et de temps, ils sont parvenus à la stabilité, au calme, à l'absence de trouble et au repos ; ils ne sont plus secoués comme dans un crible et agités par des pensées toujours en mouvement et vaines. Ils sont passés de la mort à la vie (cf. Jean 5,24). » (Homélie 5,4)
Je reviens donc à la nécessité de se dépouiller du vieil homme et de revêtir l’homme nouveau (cf. Éph. 4,22-24), c'est-à-dire Jésus-Christ. En effet, dit saint Paul : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Gal. 3,27).
Après le passage lu précédemment (§ 3,1), saint Macaire continue :
« Ceux qui se dépouillent du vieil homme, de l'homme terrestre, ceux auxquels Jésus enlève les vêtements du royaume ténébreux, revêtent l'homme nouveau et céleste, Jésus-Christ, et possèdent, d'une façon semblable, des yeux en plus de leurs yeux, des oreilles en plus de leurs oreilles - cette fois-ci, ce sont des yeux pour voir les réalités célestes, des oreilles pour entendre les merveilles de Dieu… -, une tête en plus de leur tête, de sorte que l'homme devient entièrement pur et porte l'image céleste. » (Homélie 2,4)
« Et le Seigneur les revêt des vêtements du royaume de la lumière ineffable, des vêtements de la foi, de l'espérance, de la charité, de la joie, de la paix, de la bienveillance et de la bonté, ainsi que de tous les autres vêtements divins et vivants de la lumière, de la vie, du repos ineffable, afin que l'homme nouveau devienne par grâce ce que Dieu est : amour, joie, paix, bienveillance et bonté. Et de même que le royaume des ténèbres et le péché sont cachés dans l'âme jusqu'au jour de la résurrection, et qu'alors le corps des pécheurs sera lui-même enveloppé dans les ténèbres qui sont à présent encore cachées dans l'âme, ainsi le royaume de la lumière et l'image céleste, Jésus-Christ, illuminent maintenant mystiquement l'âme et règnent dans l'âme des saints ; caché aux yeux des hommes, le Christ n'est vraiment visible qu'aux yeux de l'âme, jusqu'au jour de la résurrection, où le corps lui-même sera enveloppé et glorifié par la lumière du Seigneur, lumière qui est déjà dans l'homme quant à son âme, afin que le corps lui aussi règne conjointement avec l'âme, laquelle reçoit dès à présent le Royaume du Christ, avec son repos et sa lumière éternelle. » (Homélie 2,5)
Donc, si vous avez bien suivi, nous avons été créés à l’origine pour revêtir l'Esprit-Saint. Malheureusement, par le fait de la chute, nous avons revêtu autre chose, nous avons revêtu le vieil homme, le vêtement de l'esprit mauvais. C’est tout notre être, corps et âme, qui a été ainsi revêtu. Mais ceux qui se dépouillent du vêtement du vieil homme, le Seigneur les revêt du vêtement du Royaume, vêtement de lumière, afin que l'homme nouveau devienne par grâce ce que Dieu est par nature.
Ainsi, pour retrouver notre vocation première, il y a nécessité de nous dépouiller du vieil homme ou, dit autrement, de mettre à mort le vieil homme qui est en nous. Mais à quoi au juste devons-nous mourir ? Nous devons faire mourir ce qui est attaché au péché, mourir aux passions, à la vie déchue, pour appartenir au Christ. C'est le sens-même de Pâques : mourir à ce qui est corruptible pour ressusciter à la vie éternelle.
Pour expliquer cela, saint Macaire se réfère à certains textes de l'Ancien Testament où il est question de sacrifices d'animaux et de la prescription d’assaisonner de sel toute victime (Lév. 2,13) :
« La victime doit d’abord être immolée par la main du prêtre, mise à mort, dépecée et salée, et enfin être placée sur le feu. Si le prêtre ne commence pas par immoler et mettre à mort la brebis, elle ne sera pas salée ni offerte en sacrifice au Seigneur. Il en est de même pour notre âme quand elle s'approche du Christ, notre grand-prêtre véritable. Elle doit être immolée par lui, elle doit mourir à ses mauvaises pensées et à la mauvaise vie dont elle vivait, c'est-à-dire au péché (cf. Rom. 6,2), et la malice des passions, qui était comme sa vie, doit sortir d'elle. De même que le corps est mort, inanimé, sourd et immobile, quand l'âme l'a quitté, ainsi en est-il de notre vie quand le Christ, notre grand-prêtre céleste, par la grâce de sa puissance, l'a immolée et fait mourir au monde : elle meurt à cette vie perverse, elle n'entend plus, ne parle plus, ne vit plus dans les ténèbres du péché. Par la grâce en effet, la malice des passions se détache d'elle comme si elle était son âme, et l'Apôtre s'écrie : "Le monde est crucifié pour moi, et je suis crucifié pour le monde !" (Gal. 6,14). Car une âme qui vit encore dans le monde et dans les ténèbres du péché, qui n'a pas encore été mise à mort par le Christ, mais qui porte encore en elle cette âme mauvaise qu'est l'énergie ténébreuse des passions du péché, et qui est menée par elle, cette âme n'appartient pas au corps du Christ, elle n'appartient pas au corps de la lumière ; mais elle est corps des ténèbres et appartient encore aux ténèbres ; à l'inverse, ceux qui ont une âme de lumière, c'est-à-dire la vertu du Saint-Esprit, appartiennent à la lumière. » (Homélie 1,6)
Et saint Macaire justifie l’emploi de cette expression corps des ténèbres ou, selon les variantes de saint Paul, de corps du péché ou de corps de mort, qu’il convient de détruire pour appartenir au Corps du Christ :
« Le vêtement que tu portes, c'est un autre qui l'a fait et façonné, et c'est toi qui le revêt ; de même, c'est un autre qui a bâti et construit ta maison, et c'est toi qui l'habites ; ainsi, quand Adam, en transgressant la loi divine et en écoutant le serpent pervers, s'est vendu et livré lui-même au diable, le Malin a revêtu l'âme, cette créature excellente que Dieu avait faite à son image ; aussi l'Apôtre dit : "En dévêtant les Principautés et les Puissances, il a triomphé d'elles sur la croix" (Col. 2,15). Car le Seigneur est venu pour les chasser et reprendre possession de sa propre maison et de son propre temple, l'homme. Ainsi donc, l'âme est appelée corps des ténèbres et de la malice aussi longtemps que demeurent en elle les ténèbres du péché, parce qu'alors elle vit pour le monde mauvais des ténèbres et s'y trouve enchaînée. L'expression est de Paul, qui parle justement de "corps du péché" et de "corps de mort" : "Pour que le corps du péché soit détruit" (Rom. 6,6), et ailleurs : "qui me délivrera de ce corps de mort ?" (Rom. 7,24). Inversement, l'âme qui a cru en Dieu, qui a été libérée du péché, qui est morte à la vie des ténèbres, qui a reçu la lumière du Saint-Esprit comme une nouvelle vie dont elle est animée, cette âme demeurera là désormais, car elle est gardée par la lumière de la divinité. » (Homélie 1,7)
Et finalement, c'est cela le Salut : le Christ qui vient nous libérer de cette prison dans laquelle nous sommes tombés, pour reprendre possession de sa propre maison, de son propre temple, là où nous recevons une vie nouvelle dans la lumière du Saint-Esprit.
« Car l'âme n'est ni de la nature de la divinité, ni de la nature des ténèbres, mais elle est une créature raisonnable, magnifique, grande, merveilleuse, belle, "l'image et la ressemblance de Dieu" (Gen. 1,26), et c'est par la transgression qu'est entrée en elle la malice des passions ténébreuses. Du reste, l'âme est mêlée et unie à celui dont elle partage les volontés. Si donc elle possède en elle la lumière de Dieu et vit en elle dans toutes les vertus, elle appartient à la lumière et au repos. Mais si elle possède en elle les ténèbres du péché, elle se trouve appartenir à la condamnation. (…) Prions donc pour que nous soyons immolés, nous aussi, par sa puissance, pour que nous mourions au monde des ténèbres et de la malice, pour que l'esprit du péché soit anéanti en nous, pour que nous recevions et revêtions l'âme de l'Esprit céleste, pour que nous soyons transférés de la malice des ténèbres dans la lumière du Christ, et pour que nous reposions éternellement dans la vie. » (Homélie 1,7-9)
Nous venons de voir que l’âme n’est ni de nature divine ni de la nature des ténèbres. Elle n'a pas par elle-même la vie divine, mais elle n'est pas non plus pécheresse par nature. Elle peut aller d'un côté ou de l'autre : s'unir au péché ou s'unir à Dieu. Car, dit saint Macaire, l'âme est mêlée et unie à celui dont elle partage les volontés.
Dans une autre homélie, saint Macaire revient sur ce point : notre âme n'est ni naturellement l'hôte du péché, ni spontanément l'hôte du Saint-Esprit, car ces deux éléments, le péché et le Saint-Esprit, sont étrangers à notre nature. Mais elle peut devenir l’un ou l’autre. Bien que venues au départ comme quelque chose d'étranger, les passions ont fini par vivre de manière intime avec nous : dès que l'âme fait du péché sa demeure, elle devient pécheresse, le péché se lie à sa nature. Et par notre naissance biologique, nous avons hérité de cette nature blessée par le péché. Si, au contraire, l'âme fait de l'Esprit-Saint sa demeure, elle est sanctifiée, sa nature est déifiée. Cela signifie qu’elle a reçu quelque chose qui ne faisait pas partie de notre nature créée. Car notre nature, bien qu’étrangère à la nature divine, est capable de participer à la vie divine, par l'Esprit-Saint. Saint Macaire prend ici l'exemple des dix vierges, les cinq vierges sages et les cinq vierges folles (Matth. 25,1-12) :
« Voyez les vierges sages : parce qu'elles ont été vigilantes, pleines d'ardeur, et ont accueilli dans les vases de leur cœur une huile étrangère à leur nature, c'est-à-dire la grâce céleste du Saint-Esprit, elles ont pu entrer avec l'Époux dans la chambre nuptiale du ciel. Au contraire, les autres, les vierges folles, s'enfermant dans leur propre nature, n'ont pas veillé ni fait effort pour mettre dans leurs vases l'huile d'allégresse (cf. Ps. 44,8) - c'est-à-dire l'Esprit-Saint -, car elles étaient encore dans la chair ; mais elles se sont comme assoupies par insouciance, par vanité, par légèreté, par ignorance ou même par prétention de justice. C'est pourquoi elles ont été exclues de la chambre nuptiale du Royaume, incapables de plaire à l'Époux céleste. Enchaînées par les liens du monde et par l'amour terrestre, elles n'ont pas accordé à l'Époux céleste tout l'amour et tout l'élan de leur cœur ; elles n'ont pas pris d'huile avec elles. Car les âmes qui cherchent la sanctification par l'Esprit, laquelle est étrangère à leur nature, appliquent tout leur amour au Seigneur, "marchent en Lui" (cf. Col. 2,6), placent en Lui tous leurs désirs et toutes leurs pensées, en renonçant à tout le reste. C'est pourquoi elles sont jugées dignes de recevoir l'huile de la grâce céleste, qui leur fait traverser la vie sans souillure et plaire parfaitement à l'Époux spirituel. Par contre, les âmes qui s'enferment dans leur propre nature rampent par leur pensée sur la terre, ne songent qu'à ce qui est terrestre, et leur intellect a élu domicile sur la terre. Elles ont bien l'illusion d'appartenir à l'Époux et d'être ornées de la "justice de la chair" (cf. Hébr. 9,10) ; mais, n'étant pas nées d'en-haut (cf. Jean 3,3) par l'Esprit, elles ne possèdent pas l'huile d'allégresse. » (Homélie 4,6)
« Si les cinq sens de leur âme accueillent la grâce d'en-haut et la sanctification de l'Esprit, ces âmes sont vraiment des vierges sages, car elles ont reçu la sagesse d'en-haut qui vient de la grâce. Mais si elles se renferment en leur propre nature, elles se montrent folles et enfants du monde. (…). Il faut donc que quelque chose d'étranger à notre nature, à savoir la grâce céleste, se joigne et s'entremêle à notre nature, pour que nous puissions pénétrer avec le Seigneur dans la chambre nuptiale du Royaume et obtenir le salut éternel. » (Homélie 4,7)
Voilà, c'est toujours un peu la même idée : croire que l’on peut se sauver par soi-même, par ses propres forces, par ses propres actions, c'est un aspect du péché, c'est déjà le péché.
Remarque : certains disent que l’huile des vierges, ce sont les œuvres à accomplir. Cette interprétation n’est peut-être pas fausse, mais je préfère ce que dit saint Macaire. Il me semble que l’huile représente moins quelque chose à accomplir que quelque chose à recevoir. L’huile a la propriété d’imprégner ce qu’elle touche, elle est un symbole de l’Esprit-Saint qui pénètre jusque notre intimité. C’est pourquoi on l'utilise dans certains sacrements, notamment le sacrement de la confirmation, signifiant le don du Saint-Esprit.
Ainsi, ces vierges folles n'ont pas pris d'huile avec elles, cela signifie qu’elles n'ont pas acquis le Saint-Esprit. Elles ne manquaient pourtant pas d’œuvres : elles ont fait des efforts pour se consacrer à Dieu, car ce n’est pas rien de garder la virginité, mais si, en même temps, elles n'ont pas demandé à Dieu de venir habiter en elles, alors leur virginité ne leur sert à rien. Et on peut dire la même chose pour nous : si nous jeûnons, si nous respectons tous les éléments de la discipline de l’Église, mais si en même temps nous ne comptons pas sur la miséricorde de Dieu, nos efforts ne nous sauvent pas. La vie chrétienne ne consiste pas à attendre la récompense de nos seuls efforts. Naturellement, cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire d’efforts. Il s’agit à la fois de faire des efforts pour combattre les passions et pour pratiquer les commandements, notamment la charité, l’amour de Dieu et du prochain, et en même temps de demander la grâce de Dieu sans laquelle nos œuvres restent stériles.
C’est un peu ce que dit saint Macaire dans ce passage récapitulatif :
« Par la désobéissance du premier homme, nous avons reçu en nous un élément étranger à notre nature, la malice des passions ; passée en habitude et en prédisposition invétérée, elle est devenue comme notre nature ; par un autre élément étranger à notre nature, le don de l'Esprit céleste, elle doit être refoulée à son tour, pour que la pureté originelle soit rétablie. Et si nos supplications ardentes, nos demandes, notre confiance, notre prière et notre aversion du monde ne nous font pas recevoir maintenant la charité de l'Esprit céleste, si notre nature souillée par la malice ne s'attache pas à la charité, qui est le Seigneur, et n'est pas sanctifiée par cet Esprit de charité, si nous ne persévérons pas inébranlablement, jusqu'au terme dans tous ses commandements, en ayant fait une complète volte-face, nous ne pourrons pas obtenir le Royaume céleste. » (Homélie 4,8)
J'arrive maintenant à la cinquième homélie de saint Macaire, qui est peut-être l’une des plus intéressantes concernant notre thème, et où il s'appuie sur les versets de saint Paul que j'ai lus au début de cet exposé.
Le point important est que notre demeure céleste, c’est-à-dire notre corps ressuscité, glorifié, le corps spirituel comme dit saint Paul (1 Cor. 15,44), se construit dès maintenant. Notre résurrection complète, c'est-à-dire avec le corps, c'est pour le jour de la résurrection, à la fin des temps. C'est dans le Royaume à venir que le corps ressuscitera. Mais dès cette vie nous avons les arrhes de l’Esprit, gage du Royaume éternel. Il y donc a un lien entre la gloire future et la grâce déjà présente, parce que nous ne vivons pas sans la grâce de Dieu, heureusement pour nous ! Et c'est ce lien, établi dans les épîtres de saint Paul, que saint Macaire explique dans cette cinquième homélie.
Voici donc quelques extraits de saint Macaire. Il précise ici que, si cette demeure céleste se construit dès maintenant, ce n'est pas sans beaucoup d'épreuves et de tribulations, et avec un travail de notre part, et même de l’importunité dans notre prière, comme la veuve importune, qui insistait auprès du juge jusqu’à ce que justice lui soit rendue (cf. Luc, 18,2-8). Le but de ces efforts est d'acquérir le trésor céleste, une expression de saint Paul (2 Cor. 4,7), qui signifie la grâce du Saint-Esprit et le gage du Royaume à venir :
« Comme le dit l'Apôtre : "C'est à travers de multiples tribulations que vous pourrez entrer dans le Royaume des cieux" (Act. 14,22). Et le Seigneur a dit : "Vous sauverez vos âmes par votre patience" (Luc 21,19). Et encore : "Dans le monde, vous aurez des tribulations" (Jean 16,33). Il faut beaucoup de labeur, d'effort, de sobriété, d'attention, d'intensité et d'importunité dans la prière au Seigneur, pour échapper aux pièges des convoitises terrestres, aux lacets des plaisirs, aux tempêtes du monde et aux attaques des esprits mauvais ; pour bien comprendre aussi combien il a fallu ici-bas aux saints de foi et de charité vigilantes et ardentes pour acquérir dans leurs âmes le trésor céleste, c'est-à-dire la force du Saint-Esprit, qui est le gage du Royaume. Le bienheureux apôtre Paul traite de ce trésor céleste, qui est la grâce du Saint-Esprit ; il reconnaît que les tribulations sont sans mesure, mais en même temps il montre ce que chacun doit chercher à en retirer et ce qu'il doit obtenir : "Car nous savons, dit-il, que, si notre tente terrestre vient à être détruite, nous avons une demeure qui est l'œuvre de Dieu, une maison éternelle qui n'est pas faite de main d'homme, et qui est dans les cieux" (2 Cor. 5,1). » (Homélie 5,20)
« Il faut donc que chacun combatte, s'efforce de pratiquer toutes les vertus et croie ; c'est ainsi qu'il acquerra cette maison. Car, si la maison de notre corps s'écroule, nous n'en avons pas d'autre pour recevoir notre âme, "si toutefois, dit l'Apôtre, nous sommes trouvés vêtus et non pas nus" (2 Cor. 5,3), c'est-à-dire dépouillés de la communion et du mélange avec le Saint-Esprit, dans lequel seule l'âme fidèle peut se reposer. Voilà pourquoi ceux qui sont véritablement chrétiens et qui agissent comme tels sont pleins de confiance et se réjouissent quand ils émigrent de leur corps - c’est-à-dire quand ils meurent -, parce qu'ils possèdent cette maison qui n'est pas faite de main d'homme et qui est la vertu du Saint-Esprit habitant en eux. Si donc la maison de leur corps est détruite, ils sont sans crainte, puisqu'ils ont la maison céleste de l'Esprit et cette gloire incorruptible qui, au jour de la résurrection, relèvera et glorifiera la maison du corps, comme le dit l'Apôtre : "Celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts, vivifiera aussi vos corps mortels par son Esprit, qui habite en vous" (Rom. 8,11). Et ailleurs : "Pour que la vie de Jésus soit manifestée dans notre chair mortelle" (2 Cor. 4,10). Et ceci : "Pour que ce qui est mortel soit absorbé par la vie" (2 Cor. 5,4). » (Homélie 5,21)
Ces passages sont centraux pour notre thème. Saint Macaire fait ici ressortir pleinement le sens de plusieurs versets pauliniens qui ont été lus en introduction, notamment celui-ci qui pouvait sembler un peu énigmatique : « si toutefois nous sommes trouvés vêtus et non pas nus » (2 Cor. 5,3). Le vêtement qui est exigé ici est celui du Saint-Esprit. Ceci est à rapprocher de cet avertissement du Seigneur dans la parabole du banquet (Matth. 22,1-14) : celui qui n’a pas revêtu l’habit de noces n’est pas admis à la table des convives, qui est une image du Royaume.
Ainsi donc cette maison, c'est-à-dire le corps que nous aurons à la résurrection, se construit dès maintenant, en faisant habiter le Saint-Esprit en nous. Il s'agit de nous attacher, non aux choses de la terre, mais aux choses du ciel et à Dieu. Et cela implique de supporter beaucoup d’épreuves et de tribulations : il y a un combat nécessaire. C’est avec la pratique des commandements, en particulier la foi et la charité, que nous acquérons ce trésor céleste dans nos âmes, c'est-à-dire la grâce du Saint-Esprit.
C’est pourquoi l'acquisition du Saint-Esprit doit être le but de notre vie présente car, si la grâce du Saint-Esprit habite en nous, elle est déjà comme un vêtement, une demeure à partir de laquelle, à la résurrection, Dieu nous bâtira notre demeure céleste, c’est-à-dire notre corps nouveau. Telle est en effet notre foi, que nous devons ressusciter corporellement, mais avec un corps nouveau, en continuité avec notre corps actuel, mais qui aura acquis des propriétés nouvelles, un corps glorieux, qui sera reconstruit par Dieu. Ainsi, si le Saint-Esprit est déjà notre demeure, alors c'est le gage de notre demeure dans le Royaume à venir, le corps ressuscité.
« Combattons donc, par la foi et par une conduite vertueuse, pour obtenir ce vêtement, afin que, lorsque nous nous dévêtirons de notre corps, on ne nous trouve pas nus, et qu'il ne nous manque pas ce qui en ce jour glorifiera notre chair. Car le corps sera alors lui-même glorifié dans la mesure exacte où chacun, grâce à sa foi et à son zèle, aura été rendu digne de participer au Saint-Esprit. Les trésors que l'âme recueille maintenant en elle-même, seront alors révélés et paraîtront extérieurement dans le corps. C'est ainsi que les arbres, quand l'hiver est passé, réchauffés par la vertu invisible du soleil et des brises, produisent de l'intérieur et se tissent comme un vêtement de feuilles, de fleurs et de fruits. De même, en cette saison, les fleurs des champs sortent du sein de la terre, le sol se couvre et se revêt d'un manteau, et l'herbe pousse comme les lis, dont le Seigneur dit : "Même Salomon, dans toute sa gloire, n'a pas été vêtu comme l'un d'eux" (Matth. 6,29). Ce sont là des exemples, des figures et des images des chrétiens à la résurrection. » (Homélie 5,22)
Le corps a donc vocation à participer à la gloire de Dieu. Et cette gloire peut même devenir visible dès cette vie, comme le montre l’exemple de Moïse redescendu de la montagne après avoir reçu de Dieu les Tables de la Loi :
« Le bienheureux Moïse, par la gloire de l'Esprit qui rayonnait de sa face et que personne ne pouvait regarder fixement (cf. Ex. 34,29), nous a donné une préfiguration de la manière dont, à la résurrection des justes, les corps de ceux qui en seront dignes seront glorifiés. Or cette gloire, les âmes des saints et des fidèles ont été jugés dignes de la posséder dès maintenant dans l'homme intérieur. - et il cite encore un verset qu’on a lu en introduction - Car il est écrit : "Nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés à son image, de gloire en gloire" (2 Cor. 3,18). » (Homélie 5,24)
Écoutons encore ce beau passage avant de terminer :
« Quand Dieu créa Adam, Il ne le pourvut pas d'ailes corporelles comme les oiseaux, mais Il tint en réserve pour lui les ailes du Saint-Esprit, c'est-à-dire les ailes qu'Il lui donnera lors de la résurrection, pour qu'elles le soulèvent et l'emportent où le veut l'Esprit. Ces ailes, les âmes des saints les possèdent dès maintenant, pour s'envoler par l'intellect vers des pensées célestes. Car les chrétiens ont un autre monde que les autres, une autre table, un autre vêtement, un autre plaisir, une autre communion, une autre manière de penser. C'est pour cela qu'ils surpassent tous les hommes. La capacité de tout cela, ils ont été jugés dignes de la recevoir de l'Esprit, dès maintenant, au-dedans de leurs âmes. C'est pourquoi, à la résurrection, leurs corps seront jugés dignes de posséder ces biens éternels de l'Esprit et d'être mêlés à cette gloire, dont leurs âmes ont reçu dès maintenant l'expérience. » (Homélie 5,25)
Et pour conclure, je laisse la parole à saint Macaire :
« C'est pourquoi chacun d'entre nous doit lutter, peiner, s'appliquer avec zèle à la pratique de toutes les vertus, croire et demander au Seigneur de faire participer dès maintenant notre homme intérieur à cette gloire et à cette sainteté de l'Esprit, afin que, purifiés de la souillure du mal, nous ayons aussi à la résurrection quelque chose qui puisse revêtir nos corps nus ressuscités, couvrir notre nudité, nous vivifier et nous donner le repos pour les siècles dans le royaume des cieux. » (Homélie 5,26)