METZ
PAROISSE ORTHODOXE DES TROIS SAINTS HIERARQUES
Basile-le-Grand, Grégoire-le-Théologien et Jean-Chrysostome
православная церковь русской традиции
L’hymnographie en français pour l’ensemble de l’année liturgique (Ménées, Octoèque, Triode de Carême et Pentecostaire), adaptée en vue du chant dans les offices de l’Eglise orthodoxe (en particulier les Vêpres et les Matines), sur la base des mélodies utilisées dans les paroisses de style slave, est désormais accessible en ligne sur notre site, onglet : Hymnographie.
Il ne s’agit pas d’une traduction nouvelle. Lorsque des textes établis par la Commission de traduction de la Fraternité orthodoxe existaient (c’est le cas pour les dimanches et les fêtes principales), nous les avons repris. Pour les autres jours, nous sommes partis des traductions bien connues du père Denis Guillaume, que nous avons retravaillées pour les rendre plus intelligibles et aptes à être chantées.
Ces textes que mous présentons ne prétendent pas avoir un caractère définitif. Il y aurait encore tout un travail de vérification à faire par des traducteurs qualifiés, sur la base de l’original grec. En attendant, nous espérons qu’ils pourront rendre service à ceux qui voudront les utiliser, avec l’humble conviction qu’ils permettent déjà de retrouver une hymnographie qui a du sens pour la prière et pour l’édification spirituelle. Toutes les propositions de correction et remarques en vue de leur amélioration seront les bienvenues.
Dans ce qui suit, nous nous proposons d’expliquer notre méthode de travail. Mais avant cela, il nous faut d’abord resituer notre démarche dans le prolongement de tout un mouvement de renouveau liturgique. Ce sera en même temps une manière de rendre hommage à tous nos maîtres qui, depuis environ un siècle, ont œuvré pour donner du sens à nos rites, dans un esprit de service.
« Le 20e siècle a développé une discipline relativement nouvelle que l’on appelle théologie liturgique. Dans cette perspective, la liturgie elle-même est un enseignement théologique. Non pas simplement ce que nous disent les textes (la poésie, l’hymnographie), mais la structure même des offices et l’organisation des cycles (journalier, hebdomadaire, annuel, fixe ou mobile). Tout cela est perçu comme une source d’enseignement théologique, le principal enseignement théologique étant le fait de vivre la liturgie, en d’autres termes l’expérience. » Nicolas Lossky : Essai sur une théologie de la musique liturgique, perspective orthodoxe. Cerf, 2003. p. 13. Ces quelques lignes de Nicolas Lossky résument parfaitement notre sujet.
Si cette notion de théologie liturgique n’apparaissait pas explicitement dans les premiers siècles de l’Eglise, cela ne signifie pas qu’elle était absente, mais qu’elle était vécue implicitement, sans que l’on ait besoin d’en faire une science.
C’est donc au 20e siècle que cette notion s’est imposée. Sans entrer dans l’analyse des circonstances historiques, on peut dire que c’est le contexte de diaspora qui a conduit des théologiens orthodoxes à réfléchir sur le sens de la Tradition qu’ils avaient reçue, et accessoirement à réagir contre certaines déformations qui avaient pu s’introduire dans les siècles précédents. On a pu parler d’Ecole de Paris, de synthèse néo-patristique… Dans ce processus, l’émigration russe, notamment avec l’Institut Saint-Serge, a joué un rôle majeur. Il faut aussi mentionner la Fraternité orthodoxe qui, avec ses représentants éminents, russes et non-russes, a favorisé la diffusion dans les paroisses de cette orthodoxie ressourcée.
On ne peut pas citer tous les noms ici. C’est probablement le père Alexandre Schmemann qui a le mieux contribué à populariser l’idée d’une théologie liturgique. Alexandre Schmemann : Introduction à une théologie liturgique. Paris, 1961, en russe. Ou, plus accessible et en traduction française : L’Eucharistie, sacrement du Royaume. Ymca-Press, 1985. Et ce concept a pu être décliné par d’autres dans les différents domaines de la liturgie. Ainsi, avec Léonide Ouspensky, nous avons appris à parler de théologie de l’icône, Léonide Ouspensky : Théologie de l’icône dans l’Eglise orthodoxe, Cerf. 1980. et même, avec Nicolas Lossky, dans son ouvrage déjà cité et qui nous a servi de guide dans notre travail, de théologie de la musique liturgique.
Avant eux, Vladimir Lossky avait donné le ton avec son essai sur la théologie mystique, Vladimir Lossky : Essai sur la théologie mystique de l'Église d'Orient. Aubier, 1944. Cerf, collection Patrimoines, 2008. montrant que la tradition orthodoxe n’établit pas de séparation entre l’expérience vécue des mystères divins et le dogme de l’Eglise.
Que la prière, liturgique ou privée, soit inséparable de la théologie, ce n’est pas une nouveauté. Tout le monde connaît cette maxime d’Evagre le Pontique (4e siècle) : Si tu es théologien tu prieras vraiment, et si tu pries vraiment tu es théologien. Évagre le Pontique, Chapitres sur la prière n° 61. Dans La Philocalie. Traduction Jacques Touraille. Desclée de Brouwer, 1995. La tradition latine exprime la même conviction dans le non moins célèbre adage : Lex orandi, lex credendi (la règle de la prière détermine la règle de la foi), attribué à Prosper d'Aquitaine (5e siècle).
« Dans cette perspective, écrit Nicolas Lossky, tout chrétien est appelé à être théologien, puisqu’il est appelé à prier. Ce sens, pourrait-on dire universel, de théologie ne supprime pas la nécessité d’une théologie savante ou professionnelle : cette dernière est indispensable pour l’enseignement, la formation de chercheurs, de prédicateurs, de catéchètes ou, plus généralement, de chrétiens conscients qui veulent approfondir leur foi. Mais cette théologie académique ne devrait jamais être séparée de la prière, plus exactement d’un enracinement dans l’expérience ecclésiale de Dieu. Celle-ci se vit et s’approfondit dans la liturgie de l’Église où la parole est omniprésente. » Nicolas Lossky, op. cit. p. 49.
Dans le même ordre d’idées, il faut rappeler la contribution déterminante du père Alexandre Schmemann concernant la dimension sacramentelle de la vie chrétienne. Avant lui, au 14e siècle, Nicolas Cabasilas nous avait laissé une explication éclairante de la Liturgie et des rites sacramentels comme Vie en Christ. Nicolas Cabasilas : Explication de la Divine Liturgie. Cerf, collection Sources chrétiennes n° 4bis. 1967. Et La vie en Christ, Sources chrétiennes n° 355 (tome I) et 361 (tome II). 2009.
Enfin, il ne faut pas oublier la perspective sotériologique de tout cela. « Dans la vie de l’Église, tout possède un fondement théologique inébranlable et une référence sotériologique », écrit le Patriarche Bartholomée dans son message de carême 2023. Si les pères de l’Eglise ont été amenés, au prix d’un rude labeur, à formuler les dogmes que nous confessons, c’est dans un contexte de lutte contre les hérésies, l’enjeu n’étant rien moins que la réalité de notre salut.
« Le chœur de l’Église est une chaire de théologie ». Cette formule souvent citée du père Cyprien Kern sert en quelque sorte de fil conducteur à notre démarche. Avant nous, Constantin Andronikoff l’avait déjà choisie comme entête de son ouvrage sur le sens des fêtes, Constantin Andronikoff : Le sens des fêtes. Tome 1 : Le cycle fixe. Cerf. 1970. et il ajoute dans sa préface :
« Voilà deux mille ans, à peu de choses près, que les fidèles de la religion chrétienne, par millions, se réunissent à l'occasion de leurs fêtes pour célébrer des offices. Ils y récitent et chantent des textes. Certains sont fixés depuis des siècles, la plupart le sont depuis plus d'un millénaire. (…) A lire, à écouter les textes de l'Eglise, nous constatons qu'ils sont l'expression vivante de la pensée dogmatique et philosophique, du sentiment religieux de ses fidèles ; qu'ils apportent et qu'ils développent une révélation sur Dieu et sur le caractère divin de l'homme. Ils contiennent une très grande partie, la plus importante peut-être et en tout cas la plus vivace, du message chrétien dans le monde. Ces textes anciens restent modernes, contemporains. »
« Les récitations et les chants du christianisme appelé oriental nous enseignent-ils sur l'homme et sur sa destinée ? » Tout le livre d’Andronikoff répond positivement à cette question. L’hymnographie nous enseigne sur Dieu, sur son dessein de salut pour nous, sur la vocation de l’homme à s’unir à Dieu. Elle est à la fois prière et catéchèse, proclamation de la foi et théologie vécue.
Les textes hymnographiques que nous chantons ont été composés pour la plupart dans la deuxième moitié du premier millénaire. Ils viennent de deux pôles principaux : Jérusalem, avec le monastère de saint Sabbas tout proche, dans le désert de Judée (Jean Damascène, Côme de Maïouma, 8e siècle…) et Constantinople (Romain le Mélode, 6e siècle, Théodore Studite, 8e, 9e siècles…), saint André de Crète (8e siècle) appartenant à la fois à ces deux pôles.
L’œuvre des hymnographes est à comprendre en continuité avec l’héritage patristique, au point que des hymnes citent parfois littéralement la prédication des Pères. C’est ainsi par exemple que, pour composer le Canon des Matines de Noël, saint Jean Damascène a repris les premiers mots d’une homélie de saint Grégoire le Théologien : « Le christ nait, glorifiez-Le… ». La Liturgie ne fait qu’un avec les pères de l’Eglise et la Bible.
C’est aux grandes fêtes, à commencer par la Semaine sainte et Pâques, que l’hymnographie est la plus riche. D’inspiration biblique, par le langage et par le contenu, les hymnes liturgiques en développent toutes les implications pour nous. Les événements bibliques deviennent vivants. Les réalités divines, par nature ineffables, deviennent palpables dans l’expérience des offices.
Pour expliquer l’efficacité de ces hymnes, il faut aussi souligner l’importance de l’aspect musical. Car les hymnes ne sont pas que des textes : ce sont des chants. Ils ont été composés par les hymnographes avec leur musique. C’est le chant, parole et musique ensemble, indissociablement liés, qui est porteur à la fois de la prière et de l’enseignement de l’Eglise.
Il est bien connu que le chant contribue à la beauté légendaire de l’office byzantin. Mais sa fonction ne se limite pas à l’aspect esthétique. Il a deux autres grandes vertus : il aide à mémoriser et, surtout, il favorise la compréhension du sens en touchant à la fois le cœur et l’intelligence.
« La musique, dans la tradition judéo-chrétienne, n’est pas un ornement esthétique, en quelque sorte supplémentaire ; tout comme l’icône n’est pas là simplement pour embellir l’édifice ». Nicolas Lossky, op. cit. p. 58.
Nicolas Lossky confirme ici le lien que Léonide Ouspensky (dans son ouvrage cité plus haut) avait déjà établi entre l’icône et l’hymnographie, qui prennent tout leur sens dans la célébration des offices. Si l’icône est théologique, le chant liturgique l’est aussi. Mieux encore, on peut dire que les deux ont une fonction sacramentelle, dans le sens que les deux rendent présent le saint ou l’événement commémoré, une présence qui nous fait entrer dans le mystère du salut qui nous est offert. Ajoutons que l’hymne et l’icône d’une fête sont liés liturgiquement par le fait que l’on encense l’icône pendant le chant du tropaire.
La traduction des offices dans les langues modernes, et en particulier en français, est un défi, car ces langues ne sont pas a priori liturgiques. Les hymnes sont de la poésie chantée. Comment donc rendre tout leur caractère poétique ?
Mais le passage au français est peut-être aussi une opportunité pour réfléchir au sens et le retrouver. Car, si l’hymnographie fait la richesse du rite byzantin, que l’Eglise orthodoxe garde comme un trésor, est-elle encore comprise par les fidèles ? L’hymnographie est très riche, encore faut-il qu’elle soit accessible dans une langue que l’on comprend. S’il y a une difficulté avec les langues modernes, il existe aussi un problème avec des langues liturgiques anciennes comme le grec et le slavon, que la plupart des fidèles ne comprennent plus.
Toute traduction oblige à faire des choix. Quels sont les bons choix ? « Une bonne traduction des textes liturgiques (du grec, du latin, du syriaque, de l’hébreu, etc.) implique de retenir de l’original le sens théologique, et non pas de vouloir à tout prix obtenir un calque des décorations grammaticales ou syntaxiques, ou encore allitératives, sonores… » Nicolas Lossky, op. cit. p. 94.
La dimension poétique de l’hymnographie est nécessaire. L’important n’est pas de conserver les effets de syntaxe, ce qui est impossible, mais le recours aux images. La langue imagée des hymnographes n’est pas un simple style décoratif. Les textes liturgiques sont parsemés d’images bibliques qui ont une valeur typologique. Le Christ Lui-même ne parlait pas du Royaume de Dieu autrement qu’en paraboles.
Si la traduction des textes poétiques est difficile, le défi n’est pas moindre en ce qui concerne le lien avec la musique. L’hymnographie (tropaires, stichères…) se chante traditionnellement sur une musique de type modale (les 8 modes, ou 8 tons liturgiques), ce qui pose des difficultés avec les langues modernes.
« La langue sans doute la plus difficile, du moins dans notre expérience, est le français. Cela tient essentiellement au fait qu’il s’agit d’une langue non accentuée. L’accent tonique étant pratiquement toujours sur la dernière syllabe, les mots ont beaucoup de mal à s’exprimer au moyen de formules de différentes traditions de chant liturgique nées de langues accentuées comme le latin, le grec, le slavon, l’arabe, et bien d’autres, parmi toutes celles dont on retrouve aujourd’hui la cantillation formuliste. Par exemple, du moins à mon avis, le français supporte très mal les mélismes que l’on trouve dans la plupart des formes de chant liturgique traditionnel. Leur application au français a en effet une fâcheuse tendance à masquer le sens théologique du texte, ce qui contredit le lien qui devrait exister entre parole et musique en application du principe de non-contradiction que l’horos du Concile de Nicée II exprime à propos de l’icône (et par conséquent applicable à toute forme d’art liturgique) : l’annonce de l’Évangile pour l’édification de la communauté par la réception libre de cette annonce. » Nicolas Lossky, op. cit. p. 91.
« Trop souvent, les adaptateurs, grecs ou russes, par respect pour la musique byzantine ou slavonne-russe - cette dernière fréquemment décadente - font violence au français pour le faire entrer, comme à coups de marteau, dans la musique au lieu d’adapter la mélodie au sens. Lorsqu’on leur fait remarquer cela, ils répondent généralement qu’il faut surtout préserver le patrimoine musical d’origine et que les paroles ont beaucoup moins d’importance. Cela signifie que, d’une certaine manière, la liturgie est secondaire, la théologie est donc simplement ignorée (dans les deux sens du mot). » Nicolas Lossky, op. cit. p. 93.
« Pour le chant liturgique en français, il convient donc de rechercher la signification théologique de chaque phrase et de chaque proposition pour éventuellement y adapter des formules tirées de traditions qui ont fait leurs preuves avec des langues étrangères. » Nicolas Lossky, op. cit. p. 92.
Nous avons pris l'habitude, dans la paroisse de Metz, de célébrer plusieurs fois par semaine les Vêpres et les Matines. C’est donc par nécessité, pour pouvoir célébrer les offices dans leur plénitude de sens, que nous avons été amenés à retravailler les textes existants.
Depuis qu’il existe des paroisses orthodoxes francophones, les textes des offices ont fait progressivement l’objet de traductions à partir du grec ou du slavon. Des textes d’origines diverses circulent et sont adaptés ici et là en fonction des besoins.
Pour les dimanches et les fêtes principales, nous disposons déjà de textes de très bonne qualité, établis par la Commission de traduction de la Fraternité orthodoxe, et dont quelques-uns ont été publiés. Chaque fois qu’une telle traduction existe, nous l’avons adoptée. Il faut saluer ici en premier lieu la contribution d’Elie Korotkoff, qui nous a par ailleurs donné de précieux conseils.
Pour tous les autres jours, les traductions du père Denis Guillaume, publiées sous le nom d'éditeur Diaconie apostolique, ont l'avantage de couvrir l'intégralité du corpus liturgique. Mais ces textes présentent des défauts bien connus et sont parfois incompréhensibles si on veut les chanter tels quels.
Un premier point est que les textes du père Denis comportent un certain nombre de formulations qui lui sont propres et qu’il convenait de corriger pour une question de justesse théologique. Un exemple classique est l’expression « la divine Génitrice », qui revient de manière récurrente et que nous avons remplacée par « la Mère de Dieu », car elle n’est pas une divinité qui engendre, mais la mère en son humanité d’un Fils qui est Dieu. Un autre exemple est l’emploi fréquent du mot « sacré » dans des expressions du genre : « nous qui vénérons ta mémoire sacrée » ou « tes reliques sacrées ». Nous avons remplacé par « ta sainte mémoire » et « tes saintes reliques », car le mot « saint » convient mieux dans le langage liturgique. En effet, le mot « sacré », lorsqu’il n’est pas lié à une consécration rituelle, suggère un caractère intouchable, dans un état figé, tandis que la « sainteté », selon une conception biblique, est un dépassement par la participation dynamique à la sainteté de Dieu. Il y a aussi des mots inusités, désuets, ou qui sonnent mal dans la langue française actuelle.
Mais avant même cet aspect linguistique (qui n’est pas notre spécialité), notre première priorité a été de remédier à la compréhension, rendue difficile par des tournures de phrases qui brouillent le sens et peuvent même parfois prêter à contresens. C’est pourquoi, sans prétendre faire une nouvelle traduction, notre travail a d’abord consisté à remettre les phrases en ordre, autant que possible, avec le souci d'obtenir des textes qui puissent être chantés de manière fluide et qui sonnent juste, à la fois phonétiquement et théologiquement.
A titre d’exemple, pour illustrer notre démarche, prenons le stichère du lucernaire à Gloire, ton 2, du 11 janvier (saint Théodose-le-Grand). Voici le texte du père Denis, avec son découpage habituel à l’aide d’étoiles :
« Comme cité du Dieu vivant * le cours du fleuve a réjoui, * vénérable Père, ton âme sacrée, * tandis que l'Eau de la rémission, * le Christ notre Dieu, traversait le Jourdain, * faisant jaillir pour le monde entier la parole de foi ; * bienheureux Théodose, supplie-le * d'accorder le salut à nos âmes. »
Accessoirement, côté vocabulaire, il convient de remplacer « âme sacrée » par « âme sainte », pour la raison déjà indiquée. Mais plus important : en entendant ce stichère ainsi chanté, les fidèles auront du mal à comprendre que c’est l’âme de Théodose qui est « la cité du Dieu vivant », et que c’est le Christ qui est « l’Eau de la rémission » descendant dans l’eau du fleuve (image qui renvoie à la Théophanie dont c’est encore l’après-fête au 11 janvier). Il faut donc reprendre l’ordre des mots pour rendre les phrases intelligibles.
Mais il ne suffit pas que le texte ait du sens en lui-même, il faut encore qu’il se marie avec la musique.
Faut-il rappeler que les textes hymnographiques ont vocation à être chantés ? Les hymnographes les composaient toujours avec leur musique. C’est donc en les chantant, nous aussi, que nous avons retravaillé nos textes, sur la base des 8 tons slaves, tels qu’ils sont généralement pratiqués dans nos paroisses.
Pour les principes qui nous ont guidé, nous sommes redevable au travail déjà cité de Nicolas Lossky, disant qu’il a lui-même tout appris de Maxime Kovalevsky. Nous avons retenu aussi quelques éléments pertinents de conversations avec le père Michel Fortounatto.
Le but des effets mélodiques est de mettre en valeur la parole, de donner de la force au message qui est proclamé et d’aider en même temps à la mémorisation. Il ne faudrait pas que la musique contredise le texte.
Notre attention a porté sur deux points :
- d’une part la cohérence des phrases avec la structure du ton,
- et d’autre part la place des accents et ornements mélodiques.
Un ton (ou mode) est un enchaînement défini de formules mélodiques de base (que nous appellerons sections) formant ensemble une phrase musicale. Cette phrase peut être répétée une ou plusieurs fois en fonction de la longueur du texte. Il convient que chaque phrase du texte se déploie sur les différentes sections d’une phrase musicale : une section ouvrante (introduisant une affirmation, une idée, une action, une prière…), suivie éventuellement d’une ou plusieurs sections apportant un nouvel élément ou argument, et d’une section qui clôture. Chaque section d’une phrase doit avoir son autonomie relative et contribuer en même temps au sens de la phrase entière. Les ornementations mélodiques ont pour fonction de préciser le rôle de chaque section.
Chaque ton a une structure et un rythme propres qui ont pour but de souligner la dynamique du texte.
Le ton 2, pour revenir à notre exemple, est constitué d’une première phrase musicale à 3 sections, suivie éventuellement d’une ou plusieurs phrases à 2 sections (une section qui introduit une affirmation ou une idée, et une autre qui la clôture), et se termine par une section conclusive.
Il s’agit donc de découper le texte et d’en ordonner les sections pour les mettre en cohérence avec la structure du ton. Ainsi, dans le cas du stichère de saint Théodose, nous avons deux affirmations théologiques complémentaires, que nous avons associées, chacune, à une phrase musicale (la première à trois sections et la deuxième à deux sections, conformément au ton 2), et une conclusion en forme de supplication.
Voici le texte retravaillé, avec son découpage et les signes musicaux, auquel nous avons ajouté des crochets pour délimiter le phrasé lorsqu’on y applique la mélodie du ton 2 :
Les formules musicales traditionnelles ont été composées pour des langues accentuées (grec, slavon, latin, arabe…), dans le sens où chaque mot a son accent propre. Le français pose alors un problème car (comme nous l’avons vu § 1.3) ce n’est pas une langue accentuée. Si l’on veut plaquer la musique du slavon (ou du grec) sur le français, l’emplacement inadapté des accents risque de déformer les mots et les phrases.
Cependant, comme le fait remarquer très justement Nicolas Loskky : « Si le français est une langue non accentuée, au sens décrit plus haut, il existe bien une accentuation dans cette langue très riche et qui peut être très belle. Cette accentuation, il faut la rechercher, non pas dans les mots, mais dans la syntaxe. Chaque phrase, et même chaque proposition, contient des accents qui correspondent au sens. » Nicolas Lossky, op. cit. p. 92.
Dans ces conditions, le récitatif joue un rôle central. C’est un point que nous avons retenu du père Michel Fortounatto. Concrètement, dans chaque membre de phrase correspondant à une section de la mélodie, il convient de donner toute sa place au récitatif, en repoussant les ornementations mélodiques au début et à la fin, en évitant les syllabes accentuées entre les deux, qui feraient perdre l’unité de la proposition chantée dans cette section. Tout au plus peut-on introduire une respiration si la section est top longue. Le récitatif permet à chaque membre de phrase de trouver son rythme correspondant au sens. Il n’y a pas besoin, en général, d’accentuer tel ou tel mot jugé important. Les ornementations du début et de la fin ont pour rôle d’avertir sur le fait qu’on introduit un nouvel argument ou qu’on le termine. On garde ainsi plus facilement à l’esprit la proposition dans son ensemble.
La parole et la musique doivent être en symbiose. Les mouvements de la mélodie doivent être en accord avec le message du texte. « Si elle est appelée à proclamer, la musique ne peut être en contradiction ou en désaccord avec ce qu’elle proclame. » Nicolas Lossky, op. cit. p. 59.
Expliquons-nous sur un exemple : un stavrothéotokion (stichère se rapportant à la Mère de Dieu au pied de la Croix), chanté en ton 1, et que l’on retrouve quinze fois dans l’année. Voici d’abord le texte du père Denis Guillaume :
« La Vierge, contemplant, * ô Christ, ton injuste immolation, * dans les larmes s'écria : * Très-doux Enfant, combien tu souffres injustement ! * Comment es-tu suspendu sur le bois, * toi qui suspendis la terre sur les eaux ? * Ne laisse pas seule, je t'en prie, * Bienfaiteur du monde et Tendresse infinie, * la Mère et la servante du Seigneur. »
Et voici le texte retravaillé et annoté pour le chant : il comprend une affirmation qui se déploie en quatre sections (conformément au ton 1), suivi d’une supplication en deux sections, la dernière étant conclusive.
L’arrêt tout au début sur « Contemplant » n’a pas pour but de mettre l’accent sur ce mot, mais d’attirer l’attention sur ce qui va être dit. L’accent et l’inflexion à la fin de la première section sur « immolation, ô Christ » permettent à l’oreille de tenir ensemble ce qui vient d’être dit. Le retour à la note fondamentale au début de la deuxième section annonce un nouvel élément de la phrase. Et ainsi de suite, jusqu’à la fin de la quatrième section qui indique la clôture du message sur « comment es-tu suspendu sur le bois ». La supplication qui suit, en deux sections, est annoncée sur le même modèle que le début de l’hymne, et se termine par la forme conclusive du ton 1.
Avec ce principe, si les choristes ont un peu l’habitude, le rôle du chef de chœur peut rester discret. La chant reste fluide, proche de la cantillation. On ne s’appesantit pas sur un accord. Et, bien sûr, on n’utilise pas de partitions qui figent les notes.
Nous espérons avoir convaincu de l’intérêt d’une hymnographie qui retrouve du sens dans une langue intelligible, et que la mise en ligne de nos textes retravaillés sera un encouragement à la pratiquer.
Il arrive que des fidèles venus de Russie, s’ils comprennent suffisamment la langue française, découvrent par nos chants la richesse théologique qu’ils n’avaient pas perçue dans les chants en slavon de leur pays.
L’hymnographie tient une grande place dans nos offices, en particulier dans les Vêpres et les Matines. Malheureusement, dans les paroisses, la célébration des Vêpres et des Matines (ou de la Vigile), quand elle n’est pas tout simplement ignorée, se limite généralement aux dimanches et aux grandes fêtes. Et, pour abréger, on sacrifie souvent une grande partie de l’hymnographie. C’est dommage ! Nous encourageons, dans la mesure du possible, à chanter tous les stichères prévus par l’ordo. Le canon peut être abrégé, mais il est bien de garder toutes les odes.
Il est important d’entendre ce que dit l’hymnographie : c’est un critère pour savoir comment l’Eglise comprend les mystères et y fait participer. On voit aussi comment elle interprète théologiquement les prophéties bibliques. Dans l’office de la Sainte Rencontre (2 février), on y apprend par exemple comment la vision de « l’Ancien des jours » par le prophète Daniel (Dan. 7,1-14) se rapporte au Christ, et non au Père comme beaucoup pourraient le croire.
Notre expérience nous a convaincu aussi de l’intérêt de pratiquer les offices de semaine : ils nous familiarisent avec les saints de l’Eglise, en particulier les saints ascètes, et surtout les martyrs, qui sont très présents tout au long de l’année. Ils nous donnent des enseignements pour notre vie spirituelle, dans notre situation, comparée à celle des saints qui sont une norme.
Il est vrai que Nicolas Lossky émet une réserve à ce sujet : « Si les grandes fêtes, fixes et mobiles, ainsi que les grands saints et les grandes saintes de l’année liturgique, ont des offices d’une immense qualité théologique et poétique, il existe, dans le sanctoral en particulier, des offices avec une hymnographie parfaitement stéréotypée. On ne fait qu’appliquer une hagiographie que l’on pourrait qualifier de reçue : tous les martyrs sont sur un seul modèle, tous les moines et toutes les moniales sont sur le même moule… ». Nicolas Lossky, op. cit. p. 64.
Mais ce jugement nous semble un peu trop sévère. En général, sur l’ensemble de l’office d’un saint (notamment dans le canon), on y apprend certains éléments de sa vie, de sa personnalité, avec des détails personnalisés. Et si la forme est effectivement stéréotypée, elle nous enseigne sur la façon dont Dieu agit dans les différentes catégories de saints. Ainsi, pour prendre un exemple qui revient fréquemment, les martyrs supportent joyeusement les supplices « comme si un Autre souffrait à leur place » : il s’agit de montrer que c’est la puissance de Dieu qui se manifeste dans la faiblesse de la chair (cf. 2 Cor. 12,9), et que le Christ porte le fardeau de celui qui accepte de porter son joug (cf. Matth. 11, 28-31). Ou encore, toujours à propos des martyrs : « Ils ont englouti le tyran sous les flots de leur sang », pour dire que ce qui apparaît comme un échec aux yeux du monde est en réalité une participation à la victoire du Christ sur la mort. Selon le père Macaire de Simonos Petra, auteur du Synaxaire, Le Synaxaire. Vie des saints de l'Eglise orthodoxe. Adaptation française par Macaire, moine de Simonos Petra. Tomes 1 à 6. Diffusé en France par le monastère Saint-Antoine-le-Grand, le monastère de la Transfiguration et le monastère de Solan. la vie des saints dans l’hagiographie est un peu comme l’icône : elle nous dit autre chose que la réalité terrestre visible, elle nous parle de l’union à Dieu.
Une dernière chose pour terminer. Pour combler un manque dans notre répertoire, nous attendons encore la composition d’offices de bonne facture théologique pour les grands saints occidentaux comme Hilaire de Poitiers, Martin de tours, Germain d’Auxerre…