METZ
PAROISSE ORTHODOXE DES TROIS SAINTS HIERARQUES
Basile-le-Grand, Grégoire-le-Théologien et Jean-Chrysostome
православная церковь русской традиции
La Liturgie des Présanctifiés est l’un des offices caractéristiques du Grand Carême, qui contribue à la richesse spirituelle et à la tonalité de cette période particulière. Célébrée les mercredis et vendredis de Carême, c’est un office de communion uni aux Vêpres : communion aux Saints Dons qui ont été consacrés à la Liturgie eucharistique du dimanche précédent.
Nous reprenons ici les explications données dans les deux excellents ouvrages du père Alexandre Schmemann Le Grand Carême. Spiritualité orientale n° 13. Abbaye de Bellefontaune. 1989. et du Hiéromoine Macaire de Simonos Petra. Mystagogie du Grand Carême. Apostolia. 2018.
Une règle de l’Église orthodoxe est qu’on ne célèbre pas la Liturgie eucharistique pendant le Grand Carême, excepté les dimanches où l’on célèbre la Liturgie de saint Basile, et les samedis celle de saint Jean-Chrysostome ; à l’exception aussi de la fête de l’Annonciation, où l’on célèbre la Liturgie de saint Basile, si c’est un dimanche, ou de saint Jean Chrysostome les autres jours de la semaine.
La Liturgie eucharistique, en effet, est incompatible avec le jeûne. En tant que sacrement du Royaume, elle est toujours une fête, une actualisation de la Pâque du Seigneur (la Pâque du Seigneur Lui-même le dimanche, ou la Pâque du Seigneur dans ses saints en semaine, chaque jour étant la fête d’un ou plusieurs saints).
Mais alors, si l'Eucharistie est incompatible avec le jeûne, on pourrait se demander pourquoi sa célébration est encore prescrite les samedis et dimanches de Carême, et ceci sans rompre le jeûne. Les Canons semblent en effet se contredire, certains interdisant de jeûner le dimanche, tandis que d'autres interdisent de rompre le jeûne en aucun des quarante jours. Cette contradiction cependant n'est qu'apparente car, comme l’explique le père Alexandre Schmemann, les deux règles, qui semblent s'exclure mutuellement, se réfèrent à deux significations différentes du jeûne :
- Il y a d’une part le jeûne total, qui consiste en une abstinence complète de nourriture et de boisson. L'Eucharistie est toujours précédée de ce jeûne total, le jeûne eucharistique, d’une courte durée, variable (un jour ou une partie de la journée) selon la nature du jour où elle est célébrée. Pour l'Église, ce jeûne total, comme expression d’une attente et d’une concentration spirituelle, constitue une condition nécessaire à la sainte communion, une préparation au banquet messianique, à la table du Christ dans son Royaume.
- L’autre type de jeûne, qui peut être qualifié d’ascétique, consiste en l'abstinence de certaines nourritures et en une réduction du régime alimentaire, sur une longue durée. Le but est de libérer l'homme de ses passions, de la tyrannie déréglée de la chair, qui s'établit lorsque l'esprit cède devant le corps et ses appétits.
Ainsi, les samedis et dimanches de Carême restent de jours liturgiques, c’est-à-dire avec Liturgie eucharistique. On ne mange toujours pas de viande ni de fromage, mais le jeûne est allégé, avec dispense d’huile et de vin, qui sont des éléments festifs. Mais les jours de jeûne plus strict (du lundi au vendredi) sont aliturgiques : il n’y a pas de Liturgie eucharistique.
Les mercredis et vendredis de Carême, cependant, un office de communion est prévu le soir ; on l'appelle Liturgie des Présanctifiés, les Saints Dons ayant été consacrés à la Liturgie du dimanche précédent. La communion n'est pas tant considérée ici comme une fête, que comme l’aliment spirituel nécessaire au chrétien, qui lui permettra de supporter la rigueur du jeûne sans être totalement privé de grâce. Elle nous fournit la nourriture essentielle et notre arme dans notre lutte spirituelle, elle est la manne céleste qui nous garde vivants dans notre voyage à travers le désert du Carême. La célébration se déroule dans une atmosphère particulière de recueillement et de beauté paisible, que l’on qualifie parfois de radieuse tristesse, dans une semi-obscurité, accompagnée de chants graves et lents sur les mélodies de Carême.
Une caractéristique de la Liturgie des Présanctifiés est qu'elle est un office du soir. Pourquoi les mercredis et vendredis, et pourquoi le soir ? Nous avons vu que la communion est nécessairement précédée d'une période de jeûne total. Or, justement, les mercredis et vendredis de Carême, l'Église prescrit une abstinence complète de nourriture jusqu'au coucher du soleil. Ainsi l’office de communion uni aux Vêpres vient combler l'attente manifestée par le jeûne jusqu’au soir.
Remarque 1 : La même logique s'applique aux Vigiles de Noël et de l'Épiphanie, qui sont aussi des jours de jeûne total et où, par conséquent, on célèbre l'Eucharistie unie aux Vêpres. Si toutefois la veille de ces fêtes tombe un samedi ou un dimanche, qui sont des jours d'Eucharistie, l'abstinence totale est avancée au vendredi. Autre exemple : si l'Annonciation tombe un jour de semaine du Carême, la célébration de l'Eucharistie est prescrite pour après Vêpres.
Remarque 2 : dans la pratique actuelle, relativement récente, la célébration des Vêpres avec Présanctifiés est souvent avancée dans la matinée. Cet usage a l'inconvénient d’édulcorer l’esprit même du jeûne quadragésimal en enlevant au jeûne eucharistique sa superposition ascétique. Il garde malgré tout son intérêt pour nous introduire dans l’esprit du Carême : la communion comme soutien, pour nous fortifier dans notre effort, notre ascèse.
Je me limiterai à quelques points de repère, en me référant principalement au père Macaire (déjà cité).
Dans l'Église primitive, avant même l'élaboration du cycle du Carême, les chrétiens avaient coutume de prendre avec eux des Dons consacrés lors de la Liturgie du dimanche, pour communier chez eux les autres jours de la semaine. et usage s’est surtout répandu dans les milieux monastiques : les ermites, qui étaient souvent éloignés d’une église, emportaient avec eux des parcelles des Saints Dons, qui constituaient pour certains leur seule nourriture. Il s’agissait donc d’abord d’un usage privé.
Les premiers témoignages d’usage communautaire remontent aux VIe-VIIe siècles. Lors de certaines réunions, les jours de jeûne, après l’écoute de la Parole de Dieu, on recevait la sainte Communion.
À partir de là, petit à petit, la communion aux Dons présanctifiés s'est développée en une célébration plus solennelle. Sans entrer dans les détails, on peut dire que l’origine (comme pour l’ensemble de ce que l’on appelle le rite byzantin) est principalement constantinopolitaine, avec une influence de la tradition palestinienne. Le processus déterminant est lié à l’adoption de l’Horologion palestinien (monastère de Saint-Sabas) par les monastères stoudites de la capitale au début du IXe siècle, en le combinant avec certains éléments de l’office cathédral de Constantinople. La contribution de saint Théodore Stoudite (759-826) a été importante.
Le modèle sur lequel s’est constituée la Liturgie des Présanctifiés est la célébration vespérale de la Liturgie de saint Basile, les veilles (Paramonies) de la Nativité et de la Théophanie, ainsi que le Grand Jeudi et le Grand Samedi. À ces occasions, la première partie de la Liturgie est alors remplacée par la première moitié des Vêpres jusqu’à l'entrée, faite avec l’évangéliaire selon le modèle de la petite entrée de la Liturgie. On procède ensuite aux lectures de l'Ancien Testament des Vêpres, qui prennent la place des anciennes lectures prophétiques de la Liturgie des catéchumènes, puis on enchaîne avec les lectures du Nouveau Testament et la suite habituelle de la Liturgie eucharistique.
Progressivement, on est parvenu à une véritable Liturgie, à l’égal de celles de saint Jean-Chrysostome et de saint Basile, dont sont cependant absentes l’anaphore et les parties qui s'y rattachent.
On a cherché ensuite à attribuer sa composition à des Pères de l'Église comme saint Épiphane de Chypre, saint Germain de Constantinople, saint Grégoire le Théologien ou, le plus souvent, saint Grégoire le Grand, pape de Rome (fin VIe siècle), dont la traduction en grec des Dialogues par le pape Zacharie (au VIIIe siècle) lui avait assuré un grand prestige dans le monde monastique byzantin.
En adoptant la tradition palestinienne, les monastères qui se situaient dans la mouvance du Stoudios ont progressivement limité cette célébration aux mercredis et vendredis de la première à la sixième semaine de Carême, et aux trois premiers jours de la Semaine de la Passion. Cet usage a été sanctionné par la réforme néo-sabaïte du XIVe siècle. Et c’est toujours notre pratique.
Avant d’examiner le contenu de l’office des Présanctifiés, il me parait utile de donner quelques explications sur les Vêpres de Carême, puisqu’elles en constituent la première partie.
On célèbre les Vêpres de Carême du lundi soir au vendredi soir. Le samedi soir, les Grandes Vêpres du dimanche gardent leur structure habituelle. Les Vêpres du dimanche soir ont une structure particulière. Elles suivent le plan général des Vêpres ordinaires, avec quelques particularités :
- Lecture du Psautier : Cathisme 18 tous les jours de Carême, du lundi au vendredi. Dans la pratique de notre paroisse, aux Vêpres seules, pour une lecture continue du psautier, nous prenons les cathismes les uns après les autres ; mais à la Liturgie des Présanctifiés nous lisons toujours le cathisme18.
- Deux Lectures de l’Ancien Testament : Genèse et Proverbes. Les samedis et dimanches de Carême, on lit toujours une épitre et un Évangile à la Liturgie. Du lundi au vendredi (jours aliturgiques), il n’y pas de lecture du Nouveau Testament, mais trois lectures de l’Ancien Testament : Isaïe à l’office de Sexte, Genèse et Proverbes à l’office de Vêpres. Chaque lecture est précédée de son prokimenon (versets tirés successivement de chacun des 150 psaumes sur la durée du Carême).
- Finale de Carême après le Notre Père : on ne chante pas le tropaire du Ménée, mais des tropaires spéciaux (à la Mère de Dieu, à saint Jean-Baptiste…), avec prosternations, et prière de saint Ephrem.
Voyons un peu plus en détail les particularités concernant l’Hymnographie (les chants variables que sont les stichères du Lucernaire et des Apostiches).
Remarque 1 : Bien qu’une journée liturgique commence normalement par les Vêpres, les Vêpres de Carême font encore partie de la journée qui se termine (en particulier dans le cadre des Présanctifiés), mais l’hymnographie se rapporte déjà au lendemain.
Remarque 2 : L’hymnographie combine plusieurs cycles (et fait donc appel à plusieurs livres). Le cycle de base est l’Octoèque (cycle des 8 tons sur 8 semaines, chaque ton allant du dimanche au samedi : dimanche du ton 1, lundi du ton 1…, jusqu’au samedi du ton 8). En carême, l’Octoèque cède le pas au Triode (des hymnes pour chaque jour du Grand Carême : lundi de la 1ère semaine…). Et pour chaque jour des 12 mois de l’année, les hymnes relatifs au saint (ou la fête) du jour se trouvent dans les Ménées.
a) Lorsque les Vêpres sont célébrées seules (du lundi au jeudi soir)
Au Lucernaire (alternant avec les derniers versets des psaumes vespéraux) :
- 3 stichères du Triode, appelés prosomoia,
Prosomoion, Подобен en slavon : hymne « imitée », « similaire à », c’est-à-dire dont la mélodie et le rythme sont sur le modèle d’un tropaire dit automèle
(en pratique : selon les huit tons habituels).
- 3 stichères du Ménée (pour le saint du jour),
- Gloire et maintenant… : théotokion du Ménée.
Aux Apostiches, tous les stichères sont du Triode (avec les versets des Vêpres ordinaires) :
- 1 stichère idiomèle,
Idiomèle : Hymne ayant une mélodie propre (dans la pratique, ne disposant pas de cette mélodie particulière, on le chante selon les tons habituels).
(répété pour en faire 2),
- 1 martyrikon (pour les martyrs),
- le théotokion.
b) Lorsque les Vêpres précèdent la Liturgie des Présanctifiés
Les Vêpres s’interrompent avec l’entrée et les lectures, donc avant le chant des apostiches, pour laisser la place à l’office des Présanctifiés. Les stichères des apostiches sont alors ramenés au début du Lucernaire, qui compte donc 10 stichères :
Le mercredi soir (qui correspond à la règle générale) :
- le stichère idiomèle du Triode (répété pour en faire 2) et le martyrikon,
- les 3 stichères prosomoia du Triode,
- 4 stichères du Ménée
Sauf mercredi de la 5e semaine (pour le jeudi du Grand Canon) : stichères supplémentaires dans le Triode.
(qui n’en comporte que 3, donc on double le 1er),
- Gloire et maintenant… : théotokion du Ménée.
Le vendredi soir (donc ouvrant la journée liturgique du samedi), on a une configuration particulière à cause de la clôture du ton de la semaine :
- le stichère idiomèle du Triode (répété comme d’habitude),
- 4 martyrika, selon le ton de la semaine, venant de l’Octoèque
Sauf vendredi de la 1ère semaine (pour le samedi de Théodore Tyron) : dans le Triode.
et se trouvant regroupés en annexe du Triode (savoir les trouver et les utiliser),
- 4 stichères du Ménée,
- Gloire : le nékrossimon (stichère pour les défunts, dans la même annexe),
- Et maintenant : le théotokion dogmatique (pour la clôture du ton).
Remarque : Si on veut célébrer les Vêpres seules le vendredi soir, selon le même principe qui redonne ses droits à l’Octoèque, on adoptera le schéma suivant :
- Au Lucernaire : 3 martyrika (au vendredi soir dans l’Octoèque, selon le ton de la semaine), 3 sichères du Ménée, Gloire et maintenant : théotokion dogmatique du ton occurrent.
- Aux Apostiches : l’Idiomèle du Triode (2 fois), puis les stichères pris aux Apostiches de l’Octoèque : martyrikon, Gloire : nékrossimon, Et maintenant : théotokion.
Les thèmes des stichères :
a) L’idiomèle
L’idiomèle passe en premier, car il est le plus caractéristique et souvent le plus riche sur le plan thématique. Les thèmes développés sont ceux du carême : l’encouragement à poursuivre le jeûne, associé au combat contre les passions, l’attention au prochain… :
Exemple : le mercredi de la 1ère semaine - ton 8 :
Frères, jeûnons corporellement, / jeûnons aussi en esprit, / délions toute chaîne d'injustice, / brisons les liens de nos violentes passions, / déchirons tout contrat inique, /
donnons du pain aux pauvres et recevons les sans-logis, // afin d'obtenir du Christ notre Dieu la grande miséricorde.
À partir de la 3e semaine, l’hymnographie nous invite à nous identifier à des figures bibliques de conversion, en référence aux grandes paraboles : du Fils prodigue (3e semaine), du Pharisien et du Publicain (4e semaine), du Bon Samaritain (5e semaine), de Lazare et du riche (6e semaine). Autrefois, ces paraboles étaient lues aux Liturgies des dimanches de Carême. Maintenant leur lecture a été déplacée avant le Carême, mais nos offices en ont conservé la mémoire.
Exemple : Le mercredi de la 3e semaine - ton 4 :
Dans la perdition j'ai dépensé le bien paternel, / j’étais seul et demeurais dans le pays des hommes pervers, / par ma folie j'ai ressemblé aux animaux sans raison, /
je me suis dépouillé de toute grâce divine, / mais, dans mon repentir, je me tourne vers toi Père compatissant, et je m'écrie : // J'ai péché, Seigneur, agrée ma pénitence et prends pitié de moi.
Le mercredi de la 5e semaine - ton 8 :
Tombé au pouvoir de pensées criminelles / qui m'ont spolié mon esprit, / me voilà couvert de plaies, malheureux que je suis, / mon âme est toute blessée, /
je suis étendu sans vêtement, / dépouillé de vertus sur le chemin de cette vie ; / un prêtre, me jugeant incapable de guérir, est passé outre, / sans égard pour ma douleur ; /
un lévite, dégoûté par mes souffrances, a poursuivi son chemin ; / mais toi qui as bien voulu provenir non de Samarie, mais de la Vierge Marie, / dans ton amour, ô Christ, accorde-moi la guérison //
en répandant sur mon âme la grande miséricorde.
Le mercredi de la 6e semaine - ton 5 :
Moi qui suis riche en toutes sortes de passions, / je suis vêtu de la menteuse robe d'hypocrisie, / jouissant du péché dans l'intempérance ; /
sans mesure est mon absence de pitié, / je dédaigne mon esprit gisant devant les portes du repentir, / affamé de tout bien et souffrant de maladie ; /
mais toi, Seigneur, fais de moi un pauvre Lazare quant au péché, / afin que je n'aie pas à mendier la goutte de rosée / pour ma langue souffrant la soif dans le feu éternel ; //
Place-moi dans le sein du patriarche Abraham, ô Ami des hommes.
b) Les prosomoia
Ils font également référence au Carême, généralement en lien avec le thème du jour de la semaine (lundi et mardi la pénitence, mercredi et vendredi la croix, jeudi les apôtres, samedi les martyrs et les défunts).
Exemple : le mercredi de la 1ère semaine - ton 5 :
Divins Apôtres, fervents intercesseurs de l'univers / et premiers défenseurs des chrétiens, / vous qui avez le pouvoir de parler au Christ notre Dieu, /
nous vous prions de lui demander pour nous / le paisible accomplissement de ce Carême béni, / avec la grâce de la Trinité consubstantielle ; // Glorieux prédicateurs, intercédez pour nos âmes.
c) Le Martyrikon : pour les martyrs (qui nous précèdent sur le chemin…)
Exemple - ton 5 :
Saints Martyrs, vous qui avez souffert toutes sortes de tourments, / dans votre fermeté inébranlable, / vous n'avez pas renié le Christ, /
mais vous avez triomphé de l'audace des tyrans / et conservé sans faille la foi / pour passer de la terre vers le ciel ;
/ aussi, grâce au crédit que vous avez auprès de Dieu, / demandez-lui pour le monde la paix // et pour nos âmes la grande miséricorde.
La bénédiction initiale : "Béni est le Royaume du Père, du Fils et du Saint-Esprit !" est déjà eucharistique. Elle place la célébration entière dans la perspective du Royaume, qui est la perspective spirituelle du Carême.
Le Psaume 103 : "Bénis le Seigneur, ô mon âme..." est lu comme à l'ordinaire et suivi de la grande Litanie de paix.
Psalmodie : on lit le cathisme 18 (en 3 stances, séparées par une petite litanie). Ce cathisme se compose des psaumes 119 à 133, appelés Psaumes des montées ou Psaumes des degrés. Ils étaient chantés sur les degrés du Temple de Jérusalem comme chant de procession, comme chant du peuple qui se rassemble pour le culte et se prépare à rencontrer son Dieu.
Quelques versets significatifs :
Psaume 120
1. J'ai levé les yeux vers les montagnes : d'où me viendra le secours ?
2. Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre.
Psaume 121
1. Je me suis réjoui quand on m'a dit : « Nous irons à la maison du Seigneur ».
2. Nos pieds se sont arrêtés dans tes parvis, Jérusalem !
Psaume 125
1. Quand le Seigneur fit revenir les captifs de Sion, nous avons été consolés.
2. Alors notre bouche s'emplit de joie et notre langue d’allégresse. Alors on dit parmi les nations : « le Seigneur a fait pour eux des merveilles ».
Psaume 129
1. Des profondeurs je crie vers Toi, Seigneur, Seigneur, écoute ma voix.
2. Que tes oreilles soient attentives à la voix de ma supplication !
Psaume 133
1. Maintenant, bénissez le Seigneur, vous tous, serviteurs du Seigneur, qui vous tenez dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu !
2. Dans les nuits, élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez le Seigneur !
Pendant la lecture des psaumes, le prêtre procède au transfert des Saints Dons (conservés sur l’autel principal depuis leur consécration le dimanche précédent) vers l’autel de proscomidie.
Chant du Lucernaire : selon le schéma décrit ci-dessus.
Entrée avec l’encensoir (comme aux Grandes Vêpres) et chant de l'hymne vespérale : "Lumière joyeuse...".
Ensuite, on lit les deux lectures prescrites de l'Ancien Testament, l'une tirée du livre de la Genèse, l'autre du livre des Proverbes (selon l’ordo des Vêpres de Carême, voir ci-dessus).
Lorsqu’on célèbre les Présanctifiés, ces lectures sont accompagnées d'un rite particulier. Pendant la première lecture (de la Genèse), un cierge allumé est placé sur l'évangéliaire, sur l'autel. Lorsque cette lecture est terminée, le prêtre prend le cierge et l'encensoir et bénit avec eux l'assemblée (prosternée) en proclamant : "La lumière du Christ illumine tous les hommes !".
Le cierge est le symbole liturgique du Christ, Lumière du monde. Le fait qu'il soit placé sur l'Évangile durant la lecture de l'Ancien Testament signifie que toutes les prophéties sont accomplies dans le Christ qui a ouvert l'esprit de ses disciples "afin qu'ils puissent comprendre les Ecritures".
La Lumière du Christ dont il s’agit ici est aussi la lumière de l’illumination baptismale. Elle illumine tous les hommes : ceux qui se préparent au baptême, ainsi que ceux qui sont déjà baptisés, illuminés par l’initiation baptismale, et qui se préparent à renouveler cette expérience fondamentale de la vie spirituelle lors de la Pâque.
Remarque : Il faut savoir que, dès les premiers temps de l’Église, la fête de Pâques était le jour privilégié pour les baptêmes. Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, toute l’organisation du Grand Carême est conçue comme une préparation des catéchumènes au baptême, et le temps après Pâques comme une initiation des nouveaux baptisés aux mystères divins. On parle de catéchèses baptismales avant le baptême, et de catéchèses mystagogiques après le baptême.
Après la deuxième lecture, vient un élément caractéristique de l’office : le chant de quatre versets du Psaume 140 :
Refrain : Que ma prière s'élève comme l'encens devant Toi, et l'élévation de mes mains comme le sacrifice vespéral.
v. Seigneur, je crie vers Toi, exauce-moi ; entends la voix de ma supplication, lorsque je crie vers Toi.
v. Place, Seigneur, une garde à ma bouche, et une porte pour veiller sur mes lèvres !
v. Ne laisse pas mon cœur incliner aux paroles malignes pour chercher des prétextes à mes péchés.
Ce Psaume ayant déjà été chanté au Lucernaire, on peut se demander pourquoi on répète une seconde fois les mêmes versets. Il est probable que ces versets étaient chantés comme antienne de communion, au temps où la Liturgie n'avait pas encore acquis toute la complexité et la solennité qu'elle revêt aujourd'hui.
Aussitôt après, le prêtre dit la prière de saint Ephrem :
Seigneur et Maître de ma vie, ne m'abandonne pas à l'esprit d'oisiveté, d'abattement, de domination et de vaines paroles.
Mais accorde-moi l'esprit d'intégrité, d'humilité, de patience et d'amour, à moi ton serviteur,
Oui, Seigneur Roi, donne-moi de voir mes fautes et de ne pas juger mon frère, car Tu es béni dans les siècles des siècles. Amen.
Avec les versets du Psaume 140, cette prière constitue une magnifique introduction, de caractère pénitentiel, à la deuxième partie de l'Office : la Liturgie des Présanctifiés proprement dite.
Cette deuxième partie commence par la Liturgie des catéchumènes.
Nous retrouvons le même schéma qu’à la Liturgie de saint Jean-Chrysostome après les lectures :
- Litanie instante :
Disons tous de toute notre âme et de tout notre esprit, disons :
Seigneur tout-puissant, Dieu de nos pères, nous Te prions, écoute-nous et aie pitié de nous.
Aie pitié de nous, ô Dieu, dans ta grande miséricorde, nous Te prions, écoute-nous et aie pitié de nous…
Et le Kyrie eleison triple, comme à la Liturgie eucharistique.
- Litanie pour les catéchumènes, avec cette prière légèrement modifiée pour ceux qui se préparent au baptême :
Dieu, notre Dieu, Auteur et Créateur de l'univers, Toi qui veux que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité, jette les yeux sur tes serviteurs les catéchumènes.
Délivre-les de l'antique égarement et des embûches de l'adversaire ; appelle-les à la vie éternelle ; illumine leurs âmes et leurs corps ; agrège-les à ton saint troupeau sur lequel ton saint Nom est invoqué,
afin qu'eux aussi glorifient avec nous ton Nom très vénérable et magnifique, Père, Fils et Saint-Esprit, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles.
À partir de la mi-Carême (mercredi de la quatrième semaine), on ajoute des demandes particulières pour les photizomenoi, "ceux qui vont recevoir la sainte illumination", avec la prière du prêtre :
Fais luire, Maître, ta Face sur ceux qui se préparent à la sainte illumination et qui désirent se défaire de la souillure du péché. Illumine leur esprit, confirme-les dans la foi, affermis-les dans l'espérance, perfectionne-les dans l'amour, manifeste-les comme membres précieux de ton Christ, Lui qui s'est donné en rançon pour nos âmes, car Tu es notre illumination et nous Te rendons gloire, Père, Fils et Saint-Esprit, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles.
Une fois encore ressortent l'origine et le caractère initial du Carême comme préparation au baptême et à Pâques.
Après le renvoi des catéchumènes, commence la Liturgie des fidèles.
Comme dans la Liturgie eucharistique, elle est introduite par deux prières.
Dans la première, nous demandons la purification (la conversion) de notre âme, de notre corps et de nos sens.
Dieu grand et digne de toutes louanges, Toi qui, par la mort vivifiante de ton Christ, nous as fait passer de la corruption à l’incorruption, libère tous nos sens des passions mortifères et donne-leur pour guide la sagesse : que l'œil s'abstienne de tout regard mauvais, que l'oreille soit inaccessible aux propos vains, que la langue soit purifiée de toute parole inconvenante. Rends pures nos lèvres qui Te louent, Seigneur ; fais que nos mains s'abstiennent de toute œuvre perverse et n'accomplissent que les œuvres qui Te plaisent ; et affermis, Seigneur, par ta grâce, nos membres et notre intelligence.
La deuxième prière nous prépare à l'Entrée des Dons consacrés :
Maître saint et infiniment bon, Toi qui es riche en miséricorde, nous Te supplions : aie pitié de nous, pécheurs, et rends-nous dignes de recevoir ton Fils unique, notre Dieu, le Roi de gloire. Car voici que son Corps très pur et son Sang vivifiant vont, à cet instant, faire leur entrée pour être déposés sur cette table sainte, invisiblement escortés par la multitude des armées célestes. Accorde-nous d'y communier sans encourir de condamnation afin que, les yeux de notre intelligence étant illuminés par eux, nous devenions fils de la lumière et du jour.
Vient alors le moment particulièrement solennel de l'office : la Grande Entrée, le transfert des Saints Dons à l'autel. La procession a lieu sur le modèle de la Grande Entrée de la Liturgie eucharistique, mais sa signification est évidemment différente :
- Lors de la Liturgie eucharistique, c'est la procession de l'offrande qui a lieu à ce moment-là : l'Église s'offre elle-même, offre sa vie, la vie de ses membres et celle de la création entière, en sacrifice à Dieu, actualisation du Sacrifice unique, plénier et parfait du Christ.
- À la Liturgie des Présanctifiés, il n'y a ni offrande, ni sacrifice, ni eucharistie, ni consécration, mais c'est le mystère de la présence du Christ dans l'Église qui s'y trouve révélé et manifesté.
La procession se déroule dans un silence complet, alors que les fidèles sont prosternés.
À la place de l’hymne des Chérubins, pendant que le prêtre prépare la procession (avec encensement et prosternations), le chœur chante :
Maintenant les puissances célestes célèbrent invisiblement avec nous. Car voici que s'avance le Roi de gloire, voici avec son escorte le Sacrifice mystique déjà accompli.
Et après la procession :
Approchons-nous avec foi et amour afin de devenir participants de la vie éternelle. Alléluia, alléluia, alléluia.
Les saints Dons sont placés sur l'autel.
Le prêtre dit une nouvelle fois la Prière de saint Ephrem.
Puis la Litanie de demandes, que le prêtre conclut par cette prière pour nous préparer à la communion :
Ô Roi invisible qui fais des œuvres sans nombre, grandioses, insondables, glorieuses et sublimes, jette les yeux sur nous, tes indignes serviteurs qui, comme les chérubins devant ton trône,
nous tenons devant ce saint autel sur lequel repose ton Fils unique, notre Dieu, dans les Mystères redoutables qui y sont déposés.
Nous ayant libérés de toute impureté, nous et tout ton peuple fidèle, sanctifie nos âmes et nos corps par une consécration inamissible,
afin que, participant à ces divins Mystères avec une conscience pure, un visage qui n'ait pas à rougir et un cœur illuminé, nous soyons vivifiés par eux et nous nous unissions à ton Christ lui-même,
notre vrai Dieu qui a dit : "Celui qui mange ma Chair et boit mon Sang demeure en Moi et Moi en lui".
Ainsi, Seigneur, ton Verbe habitant en nous et marchant au milieu de nous, nous deviendrons le temple de ton très saint Esprit digne d'adoration, et, délivrés de toute embûche diabolique dans nos actes,
nos paroles et nos pensées, nous obtiendrons les biens que Tu nous as promis avec tous les saints qui Te furent agréables depuis le commencement des siècles.
Toute la prière eucharistique disparait.
Et on passe tout de suite à la prière du Seigneur, qui est notre dernier acte de préparation à la communion, car, comme c’est la propre prière du Christ, cela signifie que nous faisons nôtres les sentiments du Christ, sa prière, sa volonté, son désir, sa vie.
Suit la séquence de la communion (comme à la Liturgie eucharistique).
Pendant la communion, le chœur chante l'antienne de communion : "Goûtez et voyez combien le Seigneur est bon !".
Enfin, une fois l'office achevé, nous sommes invités à "sortir en paix".
La dernière prière (sur l’ambon) résume le sens de cet office de communion du soir, de sa relation avec notre effort de Carême :
Maître tout-puissant, Toi qui as créé tout l'univers avec sagesse, Toi qui, dans ton ineffable providence et ton immense bonté, nous as amenés à ces jours très saints pour la purification de nos âmes et de nos corps, pour la maîtrise de nos passions et dans l'espérance de la Résurrection, Toi qui, après quarante jours, as confié à ton serviteur Moïse les tables de la Loi, texte gravé par ta main divine, Toi-même, accorde-nous aussi dans ta bonté de mener le bon combat, d'achever la course du jeûne, de garder intègre la foi, d'écraser la tête des dragons invisibles et d'apparaître victorieux du péché, en parvenant, sans encourir de condamnation, à vénérer ta sainte Résurrection.
Avec cette communion, et toutes les prières qui l’accompagnent dans cette Liturgie des Présanctifiés, notre effort de Carême prend du sens.
Nous avons reçu les arrhes du Royaume. Le Royaume dont rien ne semble révéler la présence en ce monde nous a été donné "dans le secret". A présent, avec cette Lumière qui brille à l’intérieur de nous, nous sommes armés pour poursuivre "la course du jeûne", jusqu’à l’accomplissement de la Pâque du Seigneur.