Notre spiritualité est celle de l'ensemble de l'Eglise orthodoxe. Elle ne veut être que fidélité à l'Evangile, à la prédication des apôtres, à la foi et à la prière de l'Eglise, fidélité à la Tradition dans son orthodoxie. Une Tradition qui nous relie à des témoins, que nous appelons les Pères, qui l'ont incarnée, qui l'ont fait vivre, fleurir et fructifier tout au long des siècles, de génération en génération, qui ont actualisé l'Evangile dans leur vie et ont pu ainsi en transmettre toute la force.
La fermeté de la doctrine repose sur les Pères. Mais en arrière-fond de leur œuvre théologique, il y a un autre aspect, plus intérieur : la profondeur de l'expérience de la prière, de l'expérience de Dieu, la tradition ascétique, qui s'est transmise depuis les Pères du désert jusqu'à nous, en passant notamment par le Sinaï et l'Athos.
Pour nous en Occident, l'émigration russe a joué un rôle particulier dans cette transmission. En effet, la traduction, en slavon puis en russe, et la diffusion de la Philocalie (recueil de textes des Pères sur la pratique de la prière intérieure) s'était accompagnée, au XIXe siècle, d'un remarquable renouveau spirituel en Roumanie et en Russie. Les Récits d'un pèlerin russe, qu'un certain nombre de nos contemporains ont lus, donnent une petite idée de ce mouvement, mais au-delà du pittoresque de ce petit livre, c'est toute une école de prière qui a vu le jour, comme par exemple au monastère d'Optino, avec le rayonnement de grands startsi (starets au singulier, littéralement : ancien), des hommes de Dieu auprès desquels des flots de pèlerins de toutes conditions venaient chercher conseils, consolation, intercession et direction spirituelle.
L'émigration russe du début du XXe siècle, qui était porteuse de toute cette tradition, a grandement contribué au développement d'une orthodoxie ressourcée dans l'esprit des Pères, notamment avec l'Institut de théologie Saint-Serge à Paris.
Voici ce qu'écrivait en 1978 l'une des grandes figures de cette émigration, le Métropolite Antoine de Souroge : « La fin du XIXe et le début du XXe siècle ont vu surgir en Russie une pléiade de Maîtres Spirituels qui ont su unir en leur personne et dans leur enseignement la radicale intégrité de la tradition ascétique de l'Orthodoxie avec une compréhension du monde et de la vie qui les baignait de toutes parts. Ce sont à leurs contemporains qu'ils se sont adressés, mais leur message reste actuel pour nous. Comme les Pères de l'Eglise, ils ont refusé tout compromis avec un ajustement de l'Evangile aux exigences d'une société qui se détournait de la Croix et cherchait des voies spirituelles moins radicales que celles que Dieu même a définies ; mais, comme les Pères, ils ont été merveilleusement conscients de l'Amour sacrificiel que Dieu a pour le monde, créé par Lui dans un acte d'amour, appelé par Lui à devenir Son Corps, dans le miracle et l'émerveillement de la Déification (Théosis), qui est notre vocation ultime. Si quelqu'un d'entre eux avait connu le terme d'aggiornamento, il l'aurait compris et interprété comme un ajustement sans compromis non aux désirs des hommes, mais au Jour du Seigneur, seul repère et seule coordonnée acceptable pour un Chrétien. Les Pères, comme les Maîtres Spirituels de notre époque, ont voulu parler des Choses Eternelles dans la langue de ceux à qui ils s'adressaient, mais c'est la dimension d'Eternité qu'ils ont voulu et qu'ils ont su nous faire saisir à l'intérieur du temps historique, sans dilution ni adultération. » Antoine de Souroge, dans la préface du livre en traduction française d'Ignace Briantchaninov :
Introduction à la tradition ascétique de l'Eglise d'Orient.
L'exposé ci-après est construit en très grande partie à partir d'extraits de l'ouvrage de Nicolas Arséniev : la Piété russe, publié en 1963. Sous ce titre, en effet, l'auteur parle de la piété authentiquement orthodoxe, incarnée dans un peuple, russe dans son expression, mais universelle dans son essence, et il montre bien comment l'enseignement des Pères a pu passer dans la piété populaire.