METZ
PAROISSE ORTHODOXE DES TROIS SAINTS HIERARQUES
Basile-le-Grand, Grégoire-le-Théologien et Jean-Chrysostome
православная церковь русской традиции
La vie dans l’Église orthodoxe est souvent perçue comme étant soumise à un certain nombre de règles. Qu’en est-il au juste ? Quelle est la place des commandements dans l’Église ?
Pour traiter de ce sujet, je vais m’appuyer principalement sur l’épitre aux Galates.
Après les salutations d’usage, l’apôtre s’adresse ainsi aux Galates :
« Je m'étonne que vous vous détourniez si promptement de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un autre Évangile. Non pas qu'il y ait un autre Évangile, mais il y a des gens qui vous troublent, et qui veulent renverser l'Évangile du Christ » (Gal. 1,6-7).
Cet Évangile que certains voudraient remplacer par un autre Évangile, saint Paul l’a pourtant reçu directement du Christ, comme il le dit ensuite :
« Je vous déclare, frères, que l'Évangile qui a été annoncé par moi n'est pas de l'homme ; car je ne l'ai ni reçu ni appris d'un homme, mais par une révélation de Jésus-Christ » (Gal. 1,11-12).
En quoi consiste cet Évangile annoncé par Paul, et en quoi est-il menacé ? C’est le thème central de l’épitre aux Galates, que saint Paul reprendra et développera encore plus systématiquement dans l’épitre aux Romains.
Rappelons les circonstances historiques qui ont motivé ces deux lettres.
La mission de Paul auprès des païens (les non juifs convertis a la foi chrétienne), notamment à Antioche, se heurtait à l’opposition d’un milieu d’origine juive, les judaïsants, qui voulaient imposer aux chrétiens convertis du paganisme les pratiques de la Loi de Moïse, à commencer par la circoncision. Selon les Actes des apôtres, leur discours peut se résumer ainsi :
« Si vous n'êtes pas circoncis selon le rite de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés » (Act. 15,1).
Et lorsqu’il est monté à Jérusalem pour exposer aux apôtres et aux anciens l’Évangile qu’il prêchait parmi les nations, Paul a été confronté aux mêmes opposants, qu’il décrit ainsi :
« Des faux frères s'étaient furtivement introduits et glissés parmi nous, pour épier la liberté que nous avons en Jésus-Christ, avec l'intention de nous asservir » (Gal. 2,4).
Retenons bien ces deux mots qui vont revenir tout au long de l’épitre : d’un côté la liberté en Jésus-Christ, et d’un autre côté l’asservissement.
La même scène est rapportée dans les Actes des apôtres :
« Quelques-uns du parti des pharisiens, qui avaient cru, se levèrent, en disant qu'il fallait circoncire les païens et exiger l'observation de la Loi de Moïse » (Act. 15,5).
Alors, est-ce que les chrétiens sont tenus d’observer toute la Loi de Moïse ? Lorsque Paul écrit aux Galates, la question a déjà été débattue dans ce que l’on appelle le Concile des apôtres à Jérusalem (Act. 15,6-29).
Au cours de la réunion, Pierre qui, contrairement à son idée préconçue, avait pu constater par expérience que le Saint-Esprit ne fait pas de différence entre les circoncis et les incirconcis, s’est exprimé ainsi :
« Dieu, qui connaît les cœurs, a rendu témoignage aux païens, en leur donnant le Saint-Esprit comme à nous ; il n'a fait aucune différence entre nous et eux, ayant purifié leurs cœurs par la foi. Maintenant donc, pourquoi tentez-vous Dieu, en mettant sur le cou des disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons pu porter ? Mais c'est par la grâce du Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés, de la même manière qu'eux » (Act. 15,8-11).
Et après discussion, c’est l’apôtre Jacques, le frère du Seigneur, qui a conclu en disant :
« Je suis d'avis qu'on ne crée pas des difficultés à ceux des païens qui se convertissent à Dieu, mais qu'on leur écrive de s'abstenir des souillures des idoles, de l'impudicité, des animaux étouffés et du sang » (Act. 15,19-20).
Et les apôtres rédigèrent une lettre à destination des Églises :
« Il a paru bon au Saint-Esprit et à nous de ne vous imposer d'autre charge que ce qui est nécessaire, à savoir, de vous abstenir des viandes sacrifiées aux idoles, du sang, des animaux étouffés, et de l'impudicité, choses contre lesquelles vous vous trouverez bien de vous tenir en garde » (Act. 15,28-29).
Remarquons la formulation « Il a paru bon au Saint-Esprit et à nous » : la décision des apôtres n’est pas purement humaine, elle est inspirée par le Saint-Esprit.
La question est donc tranchée : les chrétiens ne sont pas soumis à toutes les obligations de la Loi de Moïse.
Mais même après cela, Pierre, qui savait pourtant que le Saint-Esprit avait été donné aux incirconcis comme aux circoncis, évitait de se montrer avec des convertis du paganisme devant ces judaïants. Paul le lui a alors reproché sévèrement :
« Lorsque Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il était répréhensible. En effet, avant l'arrivée de quelques personnes envoyées par Jacques, il mangeait avec les païens ; et, quand elles furent venues, il s'esquiva et se tint à l'écart, par crainte des circoncis. Avec lui les autres Juifs usèrent aussi de dissimulation, en sorte que Barnabas même fut entraîné par leur hypocrisie. Voyant qu'ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l'Évangile, je dis à Céphas, en présence de tous : Si toi qui es Juif, tu vis à la manière des païens et non à la manière des Juifs, pourquoi forces-tu les païens à judaïser ? » (Gal. 2,11-14).
Ayant appris que la controverse avait gagné la communauté des Galates, Paul se voit obligé de revenir sur la question et de développer ses arguments.
Mais que dit exactement la Loi (de Moïse) ?
Pour savoir ce qu’est la Loi de Moïse, il faut nous reporter au début de l’Ancien Testament, au Pentateuque, mot d’origine grecque qui signifie les cinq livres, ou plutôt les cinq rouleaux : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome. Le nom hébreu est la Torah, qui se traduit par la Loi, et qui signifie aussi l’Enseignement. Ce sont les textes les plus sacrés du judaïsme.
Comme cela apparaît dans les textes déjà cités, l’élément de la Loi le plus caractéristique par lequel les juifs se distinguent des non juifs est le fait, du moins pour les hommes, d’être circoncis.
En fait, la circoncision a été instituée bien avant Moïse (qui n’intervient dans la Bible qu’à partir du livre de l’Exode, et dont la figure domine les livres suivants jusqu’au Deutéronome). La circoncision a été donnée par Dieu à Abraham (qui s’appelait encore Abram) et à sa descendance, comme signe de l’alliance, selon le récit de la Genèse :
« Lorsque Abram fut âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, le Seigneur lui apparut et lui dit : (…) J'établirai mon alliance entre Moi et toi, et tes descendants après toi : ce sera une alliance perpétuelle, en vertu de laquelle Je serai ton Dieu et celui de ta postérité après toi. (…) C'est ici mon alliance, que vous garderez entre Moi et vous, et ta postérité après toi : tout mâle parmi vous sera circoncis. Vous vous circoncirez ; et ce sera un signe d'alliance entre Moi et vous. A l'âge de huit jours, tout mâle parmi vous sera circoncis » (Gen. 17,1-12).
Ce commandement est confirmé par la suite dans le Lévitique (Lév. 12,3).
Avant cela, Dieu avait déjà fait alliance avec Noé et toute l’humanité d’après le déluge. Le signe de l’alliance était l’arc en ciel (cf. Gen. 9,8-17). Je ne m’y attarde pas.
Revenons à la Loi de Moïse proprement dite. C’est un ensemble complexe de textes législatifs. Les rabbins ont dénombré 613 commandements : des prescriptions rituelles (dont la circoncision…), des prescriptions alimentaires, des règles économiques et sociales (comment régler les conflits…) et, parmi les règles spécifiques au judaïsme : des dispositions sur les impuretés (consommation d’aliments impurs, impureté de la femme après un accouchement et aux jours de son indisposition menstruelle, impureté des lépreux…).
C’est sur le mont Sinaï, au cours d’une scène grandiose, que Dieu a donné la Loi à Moïse, en commençant par le Décalogue, mot d’origine grecque qui signifie les dix paroles, connu aussi sous le nom des dix commandements. Le récit est donné dans l’Exode (Ex. 20,1-17), et repris dans le Deutéronome Le Deutéronome est en grande partie une reprise ultérieure des textes législatifs donnés d’abord au Sinaï. Deut. 5,6-21).
Ce sont ces dix paroles qui ont été gravées par Dieu sur des pierres appelées Tables de la Loi (cf. Ex. 34,28 et Deut. 5,22). Ces Tables ont ensuite été déposées dans l’Arche de l’Alliance qui, après une période d’itinérance, a été installée dans le Temple de Jérusalem. Ces dix paroles ont donc un statut particulier dans l’ensemble de tous les commandements. On a l’habitude de les retenir sous une forme légèrement abrégée :
1. Je suis le Seigneur, ton Dieu. Tu n’auras pas d’autres dieux que Moi.
2. Tu ne fabriqueras pas d’idole (d’image taillée).
3. Tu ne prononceras pas faussement le nom du Seigneur.
4. Tu observeras le jour du sabbat pour le sanctifier.
5.Tu honoreras ton père et ta mère.
6. Tu ne tueras pas.
7. Tu ne commettras pas d’adultère.
8. Tu ne voleras pas.
9. Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
10. Tu ne convoiteras pas ce qui est à ton prochain.
La Loi est-elle abrogée par l’Évangile ? La Christ Lui-même donne la réponse :
« Ne croyez pas que Je sois venu pour abolir la Loi ou les Prophètes ; Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. Car, Je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront pas, il ne disparaîtra pas de la Loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu'à ce que tout soit arrivé » (Matth. 5,17-18).
L’Évangile, à la suite de l’Ancien Testament, comporte donc des commandements. Le Décalogue notamment, qui a une portée universelle, garde toute son actualité. Mais les commandements n’ont plus tous la même importance ni le même statut.
Lorsqu’un docteur de la Loi demande à Jésus quel est le plus grand commandement, Il ne va pas choisir parmi les dix commandements du Décalogue, mais Il va en donner la raison d’être et la synthèse. Ce qui compte, dans l’Évangile, ce n’est pas tant la liste des prescriptions que l’esprit qui y préside. Vous connaissez la réponse de Jésus :
« Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C'est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes » (Matth. 22,37-40).
Si, dans toutes les situations et dans tous nos actes, on a dans le cœur l’amour de Dieu et l’amour du prochain, on n’a plus besoin de se poser la question des autres commandements. Ce sont donc les deux grands commandements, ou plutôt le double grand commandement.
La première partie (concernant l’amour de Dieu) se trouve dans le Deutéronome. Elle y apparaît comme une conclusion après le rappel du Décalogue (Deut. 5,6-21). C’est Dieu qui parle :
« Écoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Deut. 6,4-5).
On peut remarquer que l’amour de Dieu est toujours lié avec ce que l’on peut considérer comme le fondement des commandements : Écoute, Israël ! le Seigneur, notre Dieu, est le seul Seigneur.
La deuxième partie (concernant l’amour du prochain) est dans le Lévitique. Là encore, c’est après avoir rappelé les principaux commandements gouvernant les relations entre les hommes (Lév. 19,1-17), que vient la conclusion :
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur » (Lév. 19,18).
Avec encore ce rappel de la cause première : Je suis le Seigneur.
En fait, si l’on y regarde bien, l’amour de Dieu et l’amour du prochain étaient déjà implicites dans le Décalogue. Car les quatre premiers des dix commandements concernent la relation des hommes avec Dieu, et les six suivants concernent la relation des hommes entre eux.
Progressivement, apparaît le commandement d’aimer Dieu. C’est une nouveauté parmi toutes les religions : d’habitude, il s’agit plutôt de craindre Dieu et de l’adorer, ou de se soumettre à Lui, comme dans l’Islam, mot qui signifie soumission. L’Islam se définit comme la religion de la soumission à Dieu.
La Loi a donc un statut nouveau avec le Christ. Le Christ n’abolit pas la Loi en tant que telle : Il la renouvelle, plus dans l’esprit (qui est permanent) que dans la lettre (qui s’adapte aux circonstances).
Plus que nos actes, c’est notre cœur qui est jugé, comme on le voit dans le Sermon sur la montagne :
« Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne tueras pas ; celui qui tuera mérite d'être puni par les juges. Mais Moi, Je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère mérite d'être puni par les juges ; que celui qui dira à son frère : Imbécile ! mérite d'être puni par le sanhédrin ; et que celui qui lui dira : Insensé ! mérite d'être puni par le feu de la géhenne » (Matth. 5,21-22).
« Vous avez appris qu'il a été dit : tu ne commettras pas d'adultère. Mais Moi, Je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur » (Matth. 5,27-28).
D’une certaine manière, les commandements deviennent plus exigeants avec le Christ.
En même temps, selon l’Évangile prêché par saint Paul, et conformément à la décision du Concile de Jérusalem, les chrétiens ne sont plus soumis à toutes les prescriptions du judaïsme. Parmi celles qui n’ont plus cours : l’interdiction de manger avec des païens, celle à cause de laquelle, justement, Pierre s’est senti coupable lorsqu’il a été vu par des juifs alors qu’il mangeait avec des chrétiens non circoncis.
Avec le Christ, au-delà des commandements, c’est l’accès à une vie nouvelle qui nous est proposé.
« Car c'est par la Loi que je suis mort à la Loi, afin de vivre pour Dieu. J'ai été crucifié avec le Christ ; et si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi ; si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré Lui-même pour moi » (Gal. 2,19-20).
Nous voyons apparaître ici le rôle de la foi : ce n’est pas la Loi qui nous justifie, mais le Christ, par la foi que nous avons en Lui. La justification par la foi est une affirmation centrale des épitres aux Galates et aux Romains, avec cet exemple d’Abraham comme figure de foi :
« Puisque Abraham eut foi en Dieu et que cela lui fut compté comme justice, comprenez-le donc : ce sont les croyants qui sont fils d'Abraham. D'ailleurs l'Écriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, a annoncé d'avance à Abraham cette bonne nouvelle : Toutes les nations seront bénies en toi ! Ainsi donc, ceux qui croient sont bénis avec Abraham, le croyant » (Gal. 3,6-9).
Par la foi nous sommes descendants d’Abraham, aussi bien que les juifs. Abraham est le père de tous ls croyants.
Quant à la Loi, à supposer même qu’il soit possible d’être en règle avec tous ses articles, elle n’a pas le pouvoir de sauver.
« Car tous ceux qui s'attachent aux œuvres de la Loi sont sous la malédiction ; car il est écrit : Maudit est quiconque n'observe pas tout ce qui est écrit dans le livre de la Loi, et ne le met pas en pratique. Citation de Deut. 27,26. Et que nul ne soit justifié devant Dieu par la Loi, cela est évident, puisqu'il est dit : Le juste vivra par la foi. Citation de Hab. 2,4. Or, la Loi ne procède pas de la foi ; mais elle dit : Celui qui mettra ces choses en pratique vivra par elles. Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi, étant devenu malédiction pour nous, car il est écrit : Maudit est quiconque est pendu au bois. Citation de Deut. 21,22-23 : « Si l'on fait mourir un homme qui a commis un crime digne de mort, et que tu l'aies pendu à un bois, son cadavre ne passera pas la nuit sur le bois ; mais tu l'enterreras le jour même, car celui qui est pendu est un objet de malédiction auprès de Dieu, et tu ne souilleras pas le pays que le Seigneur, ton Dieu, te donne pour héritage ». Cela afin que la bénédiction d'Abraham aie pour les païens son accomplissement en Jésus-Christ, et que nous recevions par la foi l'Esprit qui avait été promis » (Gal. 3,10-14).
Dans ce passage un peu difficile, saint Paul nous explique pourquoi la Loi n’a pas le pouvoir de sauver. Elle peut signaler ce qui est bien et ce qui est mal, mais elle est incapable de vaincre le mal. C’est par la Croix que le Christ nous rachète de la malédiction. C’est par la mort et la Résurrection du Christ que le mal est vaincu, que la mort est vaincue, que le péché est vaincu.
La Loi n’a pas sa finalité en elle-même. C’est en Christ qu’elle trouve son accomplissement :
« Ainsi la Loi a été comme un pédagogue pour nous conduire au Christ, afin que nous soyons justifiés par la foi. La foi étant venue, nous ne sommes plus sous ce pédagogue. Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ ; vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ » (Gal. 3,24-28).
L’Évangile, c’est la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ. Le salut en Christ, c’est une vie nouvelle. La vie chrétienne est une vie en Christ.
Un point important est que cette vie nouvelle nous est communiquée par le Saint-Esprit, c’est une vie avec l’Esprit-Saint que nous avons reçu.
Nous avons déjà rencontré l’Esprit-Saint dans les textes cités précédemment : « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi (…) afin que nous recevions par la foi l'Esprit qui avait été promis » (Gal. 3,13-14). Le don du Saint-Esprit apparaît ici à la fois comme couronnement de l’œuvre de salut du Christ, et rendu possible par notre foi. C’est encore le cas dans le passage suivant :
« Ô Galates insensés, qui vous a ensorcelés, vous aux yeux de qui j’ai dépeint les traits de Jésus-Christ crucifié ? Dites-moi : est-ce pour avoir pratiqué la Loi que vous avez reçu l'Esprit, ou pour avoir cru à la prédication ? Etes-vous à ce point dépourvus d'intelligence ? Après avoir commencé par l'Esprit, voulez-vous maintenant finir par la chair ? Est-ce en vain que vous avez fait tant d’expériences (de la grâce) ? Celui qui vous accorde l'Esprit, et qui opère des miracles parmi vous, le fait-il donc parce que vous pratiquez la Loi ou parce que vous croyez à la prédication ? » (Gal.3,1-5).
On notera ici l’opposition entre la chair et l’Esprit. C’est un grand thème des épitres de Paul. J’y reviendrai un peu plus loin.
Le fait que nous avons reçu l’Esprit-Saint va revenir dans la suite de cet exposé. Pour saint Paul, la vie dans l’Esprit n’est pas une théorie, c’est un fait expérimental, une réalité palpable, bien que mystérieuse. Avec le Saint-Esprit, c’est la vie divine, c’est la vie du Christ qui nous est communiquée.
Remarque : nous avons vu aussi que, pour Pierre, c’est en constatant que le Saint-Esprit avait été donné aux non juifs convertis au Christ, qu’il a été convaincu qu’ils étaient héritiers comme les juifs des promesses de Dieu.
Quelle est la caractéristique de l’action du Saint-Esprit ? Le Saint-Esprit inscrit les commandements dans notre cœur. En donnant la Loi à Moïse, Dieu avait déjà dit : « Ces commandements, que Je te donne aujourd'hui, seront dans ton cœur » (Deut. 6,6). Mais c’est à la Pentecôte que cette réalité s’accomplit vraiment. On notera ici la continuité avec l’Ancien Testament, puisque la Pentecôte juive commémore le don de la Loi au Sinaï.
À ce sujet, les prophéties que nous lisons à la Vigile de la Pentecôte sont très explicites :
« Voici (c’est Dieu qui parle), Je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens des visions… » (Joël 2,28).
« (Ainsi parle le Seigneur) : Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et Je vous purifierai de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur nouveau, Je mettrai en vous un esprit nouveau, J'ôterai de votre chair le cœur de pierre et vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon Esprit et Je ferai en sorte que vous marchiez selon mes lois, observant mes ordonnances et les mettant en pratique. Vous habiterez le pays que J'ai donné à vos pères, vous serez mon peuple et Je serai votre Dieu » (Éz. 36,25-28).
Par le don du Saint-Esprit, la Loi n’est plus extérieure, mais à l’intérieur de nous. Il en résulte un principe de liberté : le Saint-Esprit nous fait accéder à une liberté nouvelle. La liberté évangélique est un autre thème important des épitres de Paul.
Nous avons déjà rencontré le mot liberté, en vis-à-vis du mot asservissement : « Des faux frères s'étaient furtivement introduits et glissés parmi nous, pour épier la liberté que nous avons en Jésus-Christ, avec l'intention de nous asservir » (Gal. 2,4). Jésus-Christ est source de liberté, au contraire de ceux qui veulent imposer la Loi. C’est pourquoi saint Paul dit aux Galates qui se laissent séduire :
« Autrefois, ne connaissant pas Dieu, vous serviez des dieux qui ne le sont pas de leur nature ; mais à présent que vous avez connu Dieu, ou plutôt que vous avez été connus de Dieu, comment retournez-vous à ces faibles et pauvres rudiments, auxquels vous voulez vous asservir de nouveau ? » (Gal. 4,8-9).
Et pour mieux les convaincre, il revient à la figure d’Abraham :
« Dites-moi, vous qui voulez être sous la Loi, n'entendez-vous pas la Loi ? Car il est écrit qu'Abraham eut deux fils, un de la femme esclave, et un de la femme libre. Mais celui de l'esclave naquit selon la chair, et celui de la femme libre naquit en vertu de la promesse » (Gal. 4,21-23).
En effet, Abraham a eu deux fils : Ismaël de sa servante Agar, et Isaac de son épouse Sara (qui était d’abord stérile). Et Paul interprète allégoriquement : Agar représente la Jérusalem actuelle, qui est dans la servitude avec ses enfants, et Sara représente la Jérusalem d’en haut, notre mère, qui est libre. Et il conclut :
« Pour vous, frères, comme Isaac, vous êtes enfants de la promesse ; Car que dit l'Écriture ? Chasse l'esclave et son fils, car le fils de l'esclave n'héritera pas avec le fils de la femme libre. C'est pourquoi, frères, nous ne sommes pas enfants de l'esclave, mais de la femme libre » (Gal. 4,28-31).
« Si vous appartenez au Christ, vous êtes donc la postérité d'Abraham, héritiers selon la promesse » (Gal. 3,29).
Dans l’Évangile de saint Jean, le Seigneur précise en outre de quel esclavage nous sommes libérés :
« Jésus dit aux Juifs qui avaient cru en lui : Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira… En vérité, en vérité, Je vous le dis, quiconque se livre au péché est esclave du péché. Or, l'esclave ne demeure pas toujours dans la maison ; le fils y demeure toujours. Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres » (Jean 8,31-36).
Le premier esclavage est celui du péché. Ce n’est que dans un second temps que la Loi, en tant que révélateur du péché, apparaît comme un asservissement. C’est justement de cet esclavage du péché que le Christ nous libère, comme le confirme saint Paul dans l’épitre aux Romains :
« La loi de l'esprit de vie en Jésus-Christ m'a affranchi de la loi du péché et de la mort » (Rom. 8,2).
En tant que baptisés, nous sommes libres par rapport au péché, potentiellement du moins, car l’expérience nous montre que l’on peut toujours retomber.
L’Évangile est un évangile de liberté. Mais il s’agit de faire un bon usage de la liberté. Les chrétiens ne sont plus soumis à un certain nombre de règles formelles, mais ils ne vivent pas sans règles. Il y a un comportement chrétien. Saint Paul dit par exemple :
« Tandis que nous cherchons à être justifiés par le Christ, si nous étions aussi nous-mêmes trouvés pécheurs, le Christ serait-il un ministre du péché ? Certes non ! Car, si je rebâtis les choses que j'ai détruites, je me constitue moi-même un transgresseur » (Gal. 2,17-18).
« C'est pour la liberté que le Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude » (Gal. 5,1).
Ne vous laissez asservir, ni sous le joug de la Loi, ni surtout par la servitude du péché. Évitez donc de pécher, car en péchant, vous redevenez esclaves, vous perdez la liberté que le Christ vous a donnée.
« Car, en Jésus-Christ, ni la circoncision ni l'incirconcision n'a de valeur, mais la foi qui est agissante par la charité » (Gal. 5,6).
Notre foi est en effet une foi agissante, en premier lieu par notre sollicitude envers le prochain :
« Frères, vous avez été appelés à la liberté, seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte de vivre selon la chair ; mais rendez-vous, par la charité, serviteurs les uns des autres. Car toute la Loi est accomplie dans une seule parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Gal. 5.13-14).
Les commandements reviennent donc ici, non plus comme une loi extérieure, mais comme une loi intérieure, gravée en nous par le Saint-Esprit. D’où cette exhortation :
« Je dis donc : Marchez selon l'Esprit, et vous n'accomplirez pas les désirs de la chair » (Gal. 5,16).
Nous retrouvons l’opposition, classique chez saint Paul, entre la chair et l’Esprit. Il faut bien comprendre ici le sens du mot chair. Quand il est question de la chair, il ne s’agit pas seulement de ce que l’on appelle habituellement les péchés de la chair. Vivre selon la chair, pour dire d’une manière simple, c’est vivre sans la grâce, vivre comme si on n’avait pas reçu la grâce de Dieu.
Après avoir rappelé la différence entre les œuvres de la chair (l'impureté, l'idolâtrie, les inimitiés, les jalousies…) et les fruits de l'Esprit (l'amour, la joie, la paix, la patience, la bonté…), saint Paul a cette formule bien frappée :
« Si nous vivons par l'Esprit, marchons aussi selon l'Esprit » (Gal. 5,25).
Ailleurs, dans la 1ère épitre aux Corinthiens, il dit d’une autre manière :
« Tout m'est permis, mais tout n'est pas utile ; tout m'est permis, mais je ne me laisserai asservir par quoi que ce soit » (1 Cor. 6,12).
C’est toujours la même chose : la question est de garder la liberté, de ne pas nous laisser asservir de nouveau par le péché.
Ensuite, dans le chapitre 6 de l’épitre aux Galates, comme souvent dans ses autres épitres, saint Paul rappelle les règles du vivre ensemble (porter les fardeaux les uns des autres, pratiquer le bien envers tous…), qui ne sont finalement que des déclinaisons, dans des situations particulières, du commandement d’aimer le prochain comme soi-même. Et il termine par ce que l’on pourrait garder comme conclusion :
« Car ce n'est rien que d'être circoncis ou incirconcis ; ce qui est quelque chose, c'est d'être une nouvelle créature » (Gal. 6,15).
Être chrétien, c'est être une nouvelle créature, ayant reçu une vie nouvelle et vivant de cette vie nouvelle.
Il y a un comportement partagé par les orthodoxes : un comportement dans la vie en général, et plus particulièrement un comportement dans l’église. On trouvera une description des pratiques usuelles ainsi qu’une explication de leur sens dans un Livret à l’usage des fidèles que je vais vous communiquer. Ces pratiques supposent bien sûr que l’on vient à l’église.
Voilà, je pourrais m’arrêter là. Mais je vais ajouter quelques mots sur les canons, parce que c’est une question qui m’a été posée.
Nous savons qu’il y a des canons dans l’Église. D’où viennent-ils ?
Pour une grande part, ils viennent des Conciles œcuméniques. Les pères des Conciles ont pris des décisions en matière dogmatique (concernant la foi), c’est cela le plus important, et en même temps, ils ont pris des mesures d’ordre juridique pour répondre à des questions pratiques qui se posaient dans des situations concrètes. D’autres canons ont été édictés par des conciles locaux. Et il existe aussi des canons de pères de l’Église (de saint Basile par exemple).
Le corpus des canons de l’Église orthodoxe est édité dans un recueil appelé Pidalion (gouvernail). On y trouve des règlements sur l’organisation de l’Église, ainsi que des règles disciplinaires concernant les personnes (clercs ou laïcs) ; par exemple des conditions pour être admis à la communion ou pour en être exclu…
Certains canons ont une valeur permanente, d’autres sont purement circonstanciels, liés à un contexte historique.
Voici quelques exemples parmi les questions traitées dans les 20 canons du premier Concile de Nicée :
- De ceux qui sont devenus eunuques de leur propre gré ou qui l'ont subi de force.
- Par combien d'évêques un évêque est élu.
- Du clerc qui passe d'un diocèse à un autre.
Et d’autres exemples parmi les 102 canons du Concile quinisexte (canons communs aux 5e et 6e Conciles œcuméniques) :
- De la peine canonique de celui qui abuse d'une femme consacrée à Dieu.
- Qu'il n'est pas permis aux prêtres et aux diacres de contracter mariage après leur ordination.
- Que le diacre ne doit pas s'asseoir avant le prêtre.
Il faut savoir aussi que seuls l’évêque et les prêtres peuvent s’assoir dans le sanctuaire ; les servants et les diacres n’en ont pas le droit.
En fait, les canons concernent principalement les évêques. Ce sont eux qui en ont la garde.
D’une manière générale, les canons répondent à des problèmes concrets qui se sont posés à un moment donné. L’important est l’esprit qui préside à ces règles. On peut s’en inspirer si un problème semblable se pose aujourd’hui. Mais ils doivent toujours être appliqués avec discernement, en vue d’une guérison, en vue d’une libération, en vue du salut.
Lorsque des pharisiens reprochaient à Jésus de guérir un infirme le jour du Sabbat, car si l’on s’en tient à une lecture littérale de l’Ancien Testament, on ne doit rien faire le jour du Sabbat, Il leur a répondu :
« Lequel d'entre vous, s'il n'a qu'une brebis et qu'elle tombe dans une fosse le jour du sabbat, ne la saisira pour l'en retirer ? Combien un homme ne vaut-il pas plus qu'une brebis ! Il est donc permis de faire du bien les jours de sabbat » (Matth. 12,11-12).
De même, les canons sont faits pour le bien, pas pour le mal. Il est triste de voir qu’on se dispute parfois sur des questions de juridictions ecclésiales, chacun invoquant les canons qui justifient sa politique, entraînant des divisions dans l’Église.
Nous ne vivons pas sans règles. Mais plus que des règles, je dirai qu’il y a un comportement orthodoxe, un éthos. Les orthodoxes aiment bien le mot éthos. Qu’est-ce que l’éthos ? Le père Macaire de Simonos Petra, dans une conférence, expliquait la différence entre ces trois choses : la morale, l’éthique et l’éthos. La morale, ce sont des règles. Quand on parle de l’éthique, c’est déjà un peu autre chose, ce sont des principes. L’éthos, c’est encore autre chose, c’est l’esprit qui est derrière. Ce qui compte pour nous, plus que des règles, plus même que des principes, c’est l’esprit qui est derrière.
Nous ne vivons pas sans règles. L’important est le sens de ces règles : en quoi elles nous guident, nous instruisent, nous nourrissent, en quoi elles nous aident à entrer dans la vie en Christ.
La vie chrétienne orthodoxe, si elle comporte des règles, ne se définit pas par des règles. C’est une relation vivante avec Dieu, avec un Dieu qui se révèle comme amour, un Dieu qui nous communique une vie nouvelle, libérée du péché. « Si quelqu'un est en Christ, il est une créature nouvelle : l'être ancien a disparu, un être nouveau est là » (2 Cor. 5,17). Les apôtres n’ont pas prêché des canons, ils ont prêché l’Évangile, la Bonne Nouvelle du salut offert et accessible à tous.
Les commandements de l’Évangile se ramènent finalement à aimer Dieu et aimer le prochain comme soi-même. À quoi sert de respecter des règles formelles si on dit du mal de son prochain, ou pire, si on lui fait du mal ?
L’Église est le lieu où l’on s’exerce, tous ensemble, à aimer Dieu et à aimer le prochain.